. A cette époque, la scène artistique libanaise commence à se former et s’identifier comme telle, de manière spontanée et indépendante par l’intermédiaire d’initiatives collectives, souvent avec peu de moyen en opposition à la majeure partie des voisins arabes où l’académisme et l'État jouaient alors un rôle essentiel dans la formation de leurs scènes artistiques respectives. Loin de vouloir compartimenter et contraindre la création, l’artiste Etel Adnan dans une interview(1) se souvient de cette époque où “l’art était totalement dans les mains des artistes”. Les festivals, les revues artistiques, les centres culturels ont tissé des réseaux de collaboration entre des artistes à la fois poètes, peintres, critiques ou encore galeristes dont nous avons hérité aujourd’hui. Plus de cinquante ans après l’ouverture de Dar El-Fan, force est de constater que cette génération d’artistes a institutionnalisé les valeurs qui sont aujourd’hui au cœur de la vie culturelle libanaise.
En 2020, rien ne semble avoir changé. Le musée Sursock, demeure le seul musée de la ville de Beyrouth dédié à l’art moderne et contemporain ; il continue d’organiser son Salon d’Automne biennal. Les galeries restent les principaux moteurs du marché de l’art et de la vie culturelle. Enfin, l’état semble toujours se tenir à distance de la vie artistique locale. Néanmoins, quand on regarde de plus près l’offre culturelle s’est démultipliée en de nombreux lieux qui soutiennent les artistes et permettent la réalisation de productions artistiques exigeantes et variées.
En effet, au sortir de la guerre à la fin des années 90 et au début des années 2000, dans l’urgence de faire revenir l’art dans une société fragilisée, de nouveaux centres culturels voient le jour à l'initiative de mécènes ou d’associations à but non lucratif. C’est le cas notamment de l’association pour les arts plastiques Ashkal Alwan (1993), la Fondation Arabe pour l’Image (1997) et Beirut Art Center (2009) toujours actives aujourd’hui. Ces institutions “non-profit”, nouvelles dans le paysage culturel ont ouvert grâce à l'arrivée sur la scène artistique libanaise d’une pluralité de mécènes personnes physiques ou morales, nationales ou internationales. Ces centres ont activement permis d’identifier et de définir la scène culturelle libanaise contemporaine émergente au début de notre siècle. C’est également à cette époque charnière qu’ouvrent les nouvelles galeries Agial (1990), Sfeir-Semler (2005) et Tanit (2007) qui perpétuent l’engagement des galeries précurseures. Au-delà de leur activité commerciale, les galeries proposent des expositions et programmes transversaux et didactiques. Une décennie plus tard de nombreuses galeries s’inscrivent dans leur sillage et maintiennent cette formule de galerie-musée à l’instar de : Artlab (2012), Art on 56th (2012), Marfa (2015), Saleh Barakat (2016) Galerie Cheriff Tabet (2017), Zamaan (1990), Alice Mogabgab (1994), Aïda Cherfane (2000), Mark Hachem (2010), Janine Rubeiz (1992) ou encore Letitia Gallery (2018).
Passée la période de la reconstruction, l'année 2007 annonce une décennie de démesure pour l’art au Moyen Orient avec la signature de l’accord intergouvernemental entre la France et les Emirats Arabes Unis qui aboutira dix ans plus tard à l’ouverture du fameux Louvre Abu Dhabi. Si le Liban n’a toujours pas son pendant du Louvre, les projets artistiques ne manquent pas avec l’ouverture de nombreux centres dévoués à l’accompagnement des artistes avec l’organisation de résidences mais aussi à la programmation d'événements artistiques exigeants tels que : MACAM (2013), Beirut Art Residency (2015), Hammana Artist House (2016), Dar El-Nimer (2016), Haven House (2016), NABU Museum (2018), Mina Image Center (2019) pour n’en citer que quelques un.
Bien que ces centres d’art œuvrent à différentes échelles et proposent des programmes distincts, tous affichent une ambition commune de “l’art pour tous”. Celle- ci se manifeste par leur décentralisation et leur répartition sur le territoire. Autre argument de taille, la plupart des programmes offerts par ces centres sont gratuits faisant de leurs espaces des lieux publics disponibles à tous.
La scène artistique libanaise se mue en continuité avec ses prédécesseurs du siècle précédent : Accessibilité, spontanéité et diversité des programmes demeurent des missions essentielles. Aussi, plus de moyens financiers, matériels et humains sont mis à la disposition des artistes permettant d’une part la progression des standards de production et d’autre part la démocratisation des professions artistiques. Bien qu’au Liban les formations pour les professionnels de l’art restent peu communes cette percée de la culture dans la société a incité la création de parcours universitaires dédiés. A titre d’exemple, on peut recenser : le Master en critique d’art et curatoriat de l’Université Saint-Joseph (2010), le MA en histoire de l’art et en curatoriat (2017) ou encore le Certificat en gestion de l’art de l’Ecole Supérieure des Affaires également (2017). Un écosystème qui se développe et crée de l’emploi.
Malgré une situation économique et sociale des plus moroses où la culture semble reléguée au deuxième plan quand bien même son rôle est des plus urgents, certaines initiatives permettent d'espérer de meilleures années pour l’art au Liban. A commencer par les projets de construction de musées qui devraient ouvrir leurs portes dans les années à venir tels que le BeMA (Beirut Museum of Art) par Appeal ou encore le Beirut Arab Art Museum par la Dalloul Art Foundation. En attendant, les institutions déjà présentes rouvrent progressivement après une période de grève annoncée en octobre dernier à la suite du début des mouvements de contestation. Un exemple de résistance et de ténacité de la scène culturelle au Liban.
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(1) A Universal Artist Interview - Hans Ulrich Obrist in conversation with Etel Adnan
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