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Le voyageur

10/04/2024|Olivier Ka

Jacques Liger-Belair est parti.

Encore une fois.

Il était le frère aîné de ma mère. Entre eux, il y avait Claude. Tous les deux, les frères, sont devenus architectes. Et tous les deux se sont nourris de voyages et d’horizons lointains.

Quand j’étais enfant, je voyais Jacques comme un patriarche fougueux. Un berger exalté. Il a toujours eu cette gestuelle bien à lui, rapide et volubile, barbe respectable et mèches au vent. Il dégageait, naturellement, un enthousiasme contagieux.

Les deux frères, nos deux oncles, nous racontaient souvent leur voyage. Avant ma naissance. Une sorte de tour du monde inconscient à bord d’une 2cv. Jusqu’en Inde, ils ont été. À une époque où le voyage tenait encore de l’exploration, où le danger était réel et les moyens de communication inexistants.

 

J’ai encore dans la tête, aujourd’hui, des images générées par ces histoires qu’ils nous confiaient. Elles sont imprimées au plus profond de moi. Sans doute ne pensaient-ils qu’à nous distraire, nous les enfants, alors qu’en réalité, ils me marquaient à jamais. Ils me modelaient.

Ils étaient mes héros. Je voulais être eux, plus tard. Pas architecte, non (je n’aimais pas assez l’école), mais voyageur et raconteur.

C’est durant ce périple pour moi mythique que Jacques est tombé amoureux du Liban. Plus tard, il a décidé d’y retourner, de s’y établir. Claude, lui, a choisi le Canada.

Pendant ce temps-là, ma mère, restée en Belgique, fautait. Elle n’avait pas vingt ans et venait de mettre un bébé au monde, un petit garçon issu d’une union désapprouvée par la morale et la famille. On lui a demandé d’aller rejoindre son frère au Liban, au moins pendant un temps, histoire de se faire oublier. Loin des yeux, loin des rumeurs…

Elle a voyagé à son tour, pour se rapprocher de Jacques.

C’est là qu’elle a rencontré mon père.

Si je vis aujourd’hui, c’est grâce à l’amour que portait Jacques pour le Liban, son pays d’adoption. Je dois mon existence, en partie, à ce voyage qu’il effectua jeune homme, avec son frère. Rien d’étonnant, me direz-vous, que les racontards de mes oncles aient tant résonné en moi quand j’étais enfant. Encore fallait-il que les narrateurs aient le talent nécessaire pour porter haut leurs récits. Et ils l’avaient, vous pouvez me croire.

Jacques était un merveilleux conteur.

 

La vie a coulé. Nous ne nous sommes pas beaucoup fréquentés durant longtemps. Il était loin – au Liban la plupart du temps – et, de mon côté, je n’avais gardé aucun lien avec ce pays qui m’a vu naître. Et puis, ces dernières années, nous nous étions rapprochés. Nous nous appelions régulièrement. Surtout depuis que j’avais décidé, voilà environ trois ans, de revenir aux sources de mon enfance, de redécouvrir mon pays d’origine.

Je l’ai beaucoup interrogé.

Il m’a beaucoup raconté.

À mon retour, je lui relatais mon voyage, mes impressions, dont il était friand. Les rôles s’étaient inversés : j’étais devenu le conteur et lui l’oreille avide.

J’ai découvert ses œuvres sur le tard, les nombreuses traces qu’il laisse aujourd’hui au Liban. J’ai rencontré des gens qui l’ont connu, apprécié, admiré.

J’ai pris conscience, à ce moment-là, de la place qu’il occupait dans ce pays qu’il avait choisi et qu’il n’a jamais cessé d’aimer.

J’ai réalisé, aussi, la place qu’il prenait chez moi. Et le vide qu’il va laisser.

Tu es parti, Jacques.

Encore une fois.

Quand on se retrouvera, un jour, ailleurs, je compte sur toi pour me servir de guide. Et me faire voyager, encore.

Me raconter d’autres horizons lointains.

 

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