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Wajihat : et les façades se remémorent …

05/08/2021|Julia Mokdad

Des façades en ligne de front. Des murs en béton qui regardent, depuis 2013 - date à laquelle ont été déchargées les 2750 tonnes de nitrate d’ammonium au port de Beyrouth -  le camp d’en face, attendant sans le savoir ce jour où l’impensable, la déflagration, adviendra. Explosive, dévastatrice. Ces façades, c’est tout ce que l’immeuble Boulos Fayad a toujours eu à offrir depuis son inauguration, il y a de cela plus de 80 ans. Inertes et silencieuses, elles ont vu défiler, interdites, les interminables entrées et sorties qui animaient le vaste hall d’entrée, en face du bâtiment des douanes. Défiler les locataires - dont certains investissent les lieux depuis 1945 - les entreprises, les belles époques du Liban; et celles un peu plus amères. Elles ont logé l’effervescence et le travail, et ont protégé pignons et chaînes, même au lendemain des jours sombres. Mais témoins involontaires de l’indescriptible, elles se sont tues, au crépuscule d’un jour d’août, et jamais sollicitée par l’extérieur, elles n’ont plus jamais retrouvé la parole. 

 

L’immeuble à l’ombre du port 

Joumana Fayad Youssévitch, Marie Gabrielle Daniels et Nicole Fayad s’occupent de l’immeuble qui appartenait à leur père depuis son décès il y a quatre mois. Très vite, le 4 août 2021 en ligne de mire, les trois soeurs entrevoient la nécessité indétournable de commémorer cette date qui a porté l’estocade au pays des cèdres. « L’idée primaire était de projeter toutes les questions que nous nous posions depuis un an. Puis un matin, j’ai eu une sorte de déclic. Je me suis dit : pourquoi ne pas le faire subtilement, en enveloppant le bâtiment de toutes ces interrogations, de toutes les émotions qui nous caillassent ? ». Pour Joumana, utiliser les façades est signe de mouvement populaire. C’est aussi une manière de sortir de ces murs, les revendications enfouies sous les ruines de l’ignorance. Depuis la double explosion du port, la possession des Fayad n’a jamais bénéficié d’aide à la reconstruction. Beaucoup ont rasé ses murs, peu se sont arrêtés, si bien que les trois sœurs ne se rappellent aujourd’hui que d’une petite ONG constituée de jeunes allemands, venue offrir le remplacement d’un réservoir d’eau.

 

Pour raconter cette histoire, les propriétaires ont privilégié l’art. Avec la complicité et le support de Nadine Majdalani Begdache et l’équipe de la Galerie Janine Rubeiz, pendant un mois, 23 œuvres seront placardées sur les bandes pleines de l’immeuble, entre les fenêtres des locataires, du toit jusqu’à l’auvent. Étirées sur 13 mètres, les pièces révèleront, comme des spectres, et souvent implicitement, la douleur, l’incompréhension, les questionnements et les ébauches de réponses emmurées dans le béton après le passage de l’onde de choc. Pour Nicole, ce projet est avant tout un acte de solidarité. « C’est une façon d’être avec les autres; de leur dire que nous non plus, nous n’oublions pas. Évidemment, c’est aussi un coup de pouce pour les artistes dont le secteur se heurte à la crise. A l’issue de ces trente jours, ils repartent avec leurs œuvres et pourront s’ils le souhaitent, essayer de les vendre » affirme-t-elle. L’opération, spontanée, a accueilli les artistes progressivement depuis le mois de juin, et a clôturé la sélection il y a à peine dix jours. A l’aune de l’initiative qu’il soutient, l’immeuble Boulos Fayad devient donc, à l’image de son père, ce mécène qui croit en l’art. 

 

Artistes participants : Ali Allouch, Youssef Aoun, Dalia Baassiri, Lilia Benbelaïd, Rached & Dalia Bohsali, Élie Bourgély, Fadi El Chamaa, Sami ElKour, Imad Fakhry, Ahmad Ghaddar, Joseph Harb, Leila Jabre Jureidini, Semaan Khawam, Hanibal Srouji 

 

 



 

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