Les apparences sont souvent trompeuses et Sawsan Chawraba en est l’exemple le plus parlant.
Debout sur scène, dans un monologue à en perdre le souffle, elle tient son public en haleine en racontant l’histoire d’un personnage haut en couleurs, une vieille tante à l’accent palestinien que la vie n’a pas ménagée. Mégalomane, hallucinée, radoteuse, la dame qui déroule sa vie et ses pseudo-frasques est attachante.
Mais là n’est pas l’enjeu de cette pièce écrite et mise en scène par Yahia Jaber. Dans un salon un peu vétuste où trône la photo de Farid el Attrach, les souvenirs des amours passées de la grande dame déchue pourraient être désopilantes si ce n’était l’amertume et la douleur qui s’intensifient avec le déroulé des péripéties pour révéler le destin d’une femme trahie par les hommes qu’elle a farouchement aimés et à qui elle a donné absolument tout, jusqu’au sens de sa dignité.
Une histoire certes poignante sur les affres de la flamme amoureuse qui peuvent humilier jusqu’à l’os les femmes passionnées.
Et pourtant, ce n’est toujours pas l’enjeu de la pièce que Sawsan Chawraba mène tambour battant durant 70 minutes consécutives.
C’est à travers quelques brefs interludes que la jolie brunette aux cheveux noirs arrive au cœur du propos de la narratrice, imperturbable, vigoureuse, qui arpente la scène, simule des situations, chante, joue du piano… Leurrant son public jusqu’au bout, c’est avec sidération que soudain, arrachant sa perruque, le second personnage de cette pièce à deux voix, montre son crâne rasé pour faire le parallèle au cœur de son message : la maladie et le cancer, encore plus que l’amour arrachent, aux femmes surtout, toute leur dignité…
Mais ce n’est pourtant pas une raison pour capituler !
Un message extrêmement fort qu’elle assume au quotidien en partageant sa vie entre la scène et les traitements. Entre une chimiothérapie et une autre, elle se maquille et assume sa passion jusqu’au bout, devant des spectateurs souvent ignorants de son état.
Atteinte d’un cancer du sein, il y a une quinzaine d’années, la jeune femme de 33 ans, alors au zénith de ses rêves, de sa jeunesse et de sa beauté, doit dire adieu à ses atours féminins les plus précieux. Ce qui ne l’abat pourtant pas. Elle lutte âprement contre ce mal pernicieux, remonte la pente et persévère à réaliser ses rêves. La vie continue et elle est belle.
Mais treize ans plus tard, la maladie sournoise reprend possession d’elle et attaque tous ses organes. Encore une fois, résiliente, elle lui fait face. Rien ne l’arrêtera de faire du théâtre qu’elle considère thérapeutique pour elle. Et la voilà debout sur les planches du théâtre Monnot, prouvant haut et fort que toute femme peut se dépasser encore et encore, tant qu’elle est motivée.
« Je suis investie d’une mission, avoue-t-elle en entrevue. Je suis responsable de prouver aux femmes de ne pas abdiquer ni aux blessures de l’amour, ni à la souffrance de la maladie. Je ne souscris pas au cancer. Le théâtre est ma passion et mon remède. C’est une sorte de traitement. Je termine ma séance de chimio, je prends mes cachets de morphine et je me lève, défiant médecins, soignants et tous ceux qui veulent me retenir de vivre ma vie. La vie est un perpétuel défi et je l’assume. C’est maintenant, aujourd’hui qu’il faut vivre. Les photos, les likes, les réseaux sociaux ne sont pas importants. Quand on disparaît, rien ne reste. C’est donc, là, tout de suite qu’il faut prendre sa destinée en main et vivre ses passions. »
Des propos puissants que la jeune femme tient à son corps défendant, dans cette pièce intitulée à juste titre « Morphine ». Une merveilleuse leçon de vie, subtile, qu’elle diffuse entre dérision et parodie, mettant au cœur de son discours, l’amour avec un grand A : « Ce qui nous rend heureuse, nous fait aussi pleurer ».
« Morphine », de Yahia Jaber, au théâtre Monnot jusqu’au 25 février 2024
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