« Travaillez pour travailler, écrivait Emile Zola dans une lettre adressée à l’un de ses plus fidèles amis le journaliste Paul Alexis, sans trop rêver du résultat. C’est l’impatience du but qui perd notre génération fiévreuse.» À relire ce visionnaire, on a l'impression qu'il décrit le monde d'aujourd'hui. Ce sont, en effet, les grands Hommes, ces bourreaux de travail, qui ont fait la gloire de notre humanité en l’amenant à un niveau supérieur dans l’Histoire, que ce soit à travers leurs découvertes, leurs chefs-d’œuvre ou leurs pensées. Une vie de travail, que du travail et quel travail! Mais enfin, n’est-ce pas sous le signe du « travail » que la société délivre à l’Histoire ses prestiges? N’est-ce pas sous le signe de ce même « travail » que Louis Pasteur déclare fermement que ce n’est pas la profession qui honore l’homme mais c’est l’homme qui honore la profession? Inutile de s’enliser dans des querelles chaotiques, « les opinions pèsent si peu devant la toute puissance des faits », pour reprendre les mots de l’auteur dreyfusard, car ce qui est, doit être et ce n’est nullement à un caprice du hasard ou à un prodige de l’adresse qu’il faut attribuer le mérite des « Lumières » d’aujourd’hui. L’Académie nationale de pharmacie (de France) en fut consciente, en octobre passé, en élisant le professeur Marianne Abi Fadel, membre correspondant étranger.
Doyen de la Faculté de pharmacie de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), directrice du Laboratoire de Biochimie et de Thérapie Moléculaire (LBTM), professeur-chercheur, pharmacienne-biologiste : cette liste kaléidoscopique ne s’arrête pas là. Professeur Abi Fadel, on ne vous présente plus, votre nom parle de lui-même. Quinze ans déjà, sa révolutionnaire découverte de PCSK9, troisième gène impliqué dans l’hypercholestérolémie familiale (HF) autosomique dominante aux côtés du LDLR et de l’APOB, laissait augurer que cette percée allait rapidement devenir le centre d’intérêt des chercheurs et des médecins du monde entier en tant que nouvelle cible thérapeutique visant à réduire le taux du LDL-Cholestérol. Tel fut le cas lorsque les études précliniques et cliniques lancées par différentes sociétés pharmaceutiques ont été couronnées de succès et ont ainsi conduit à la commercialisation de trois médicaments biologiques anti-PCSK9 dont deux, ayant la capacité de réduire les taux de LDL-Cholestérol de 50 à 60%, ont reçu la double approbation et américaine par la FDA, et européenne par l’Agence européenne des médicaments en 2015. La recherche scientifique impliquant PCSK9 ne cesse de se développer et de progresser depuis la découverte des premières mutations incriminées dans les HF en 2003. L’aventure de PCSK9, de l’identification du gène jusqu’à la découverte d’une nouvelle famille de médicaments hypolipémiants, demeure un exemple probant de réussite de la recherche translationnelle et une lueur d’espoir dans la lutte contre les maladies cardiovasculaires, complications principales liées aux taux élevés de cholestérol. Elle est également la preuve la plus concrète que la persévérance et le travail acharné et de longue haleine finissent toujours par payer. A cet égard, la chercheuse libano-française souligne: « Notre enfance au Liban, en pleine guerre ou crise économique nous a appris la ténacité et la patience, qualités cruciales en recherche, comme cela a d’ailleurs été le cas dans l’aventure de la découverte de PCSK9 du gène au médicament. Cette belle histoire que j’ai eu la chance de vivre, constitue un espoir pour les patients souffrant d’hypercholestérolémie familiale et de ses complications cardiovasculaires, surtout lorsqu’ils ne répondent pas de façon suffisante aux traitements classiques déjà disponibles. Cette maladie génétique est fréquente, et son taux dans la population libanaise est l’un des plus élevés au monde. »
Le doyen de la Faculté de pharmacie, ayant porté à plusieurs reprises haut et fort les couleurs de son pays dans le monde, a à son actif une panoplie de décorations dont celui du prix d’excellence de la recherche scientifique décerné par la Société des membres de la Légion d’honneur au Liban en 2016. Un nouvel exploit s’ajoute, désormais, à la liste déjà longue des réalisations phares du professeur Abi Fadel en devenant membre correspondant étranger élu, le 2 octobre 2019, par l’Académie nationale de pharmacie en France, à l’initiative des membres français de la section biologie. La cérémonie solennelle, honorant les nouveaux élus, a eu lieu le 18 décembre à la prestigieuse « Salle des Actes » de la Faculté de pharmacie de l’Université Paris Descartes en présence d’un parterre d’académiciens et de personnalités du monde scientifique, pharmaceutique, médical et diplomatique dont les ambassadeurs et représentants d’ambassadeurs des différents pays d’origine des correspondants internationaux. La Médaille « Hygia Salus » lui fut alors décernée par la présidente de l’académie et de son secrétaire perpétuel avec les membres nationaux, titulaires et internationaux nouvellement élus. Toutefois, il est à noter que le professeur Abi Fadel fut invitée, en juin dernier, à présenter ses travaux de recherches menés à l’INSERM en France et à la Faculté de pharmacie de l’USJ, lors de la réunion de la troisième section (biologie) de l’Académie nationale de pharmacie. « Ces travaux de recherche avec l’INSERM sont un bel exemple de réussite des collaborations internationales entre la Faculté de pharmacie de l’USJ et les équipes francophones. Ceci permet à nos étudiants de découvrir de nouveaux horizons et de vivre de belles aventures professionnelles et scientifiques comme celle que j’ai vécue. Nos étudiants ont d’ailleurs un bagage scientifique et humain, et une force d’adaptation remarquables qui leur permettent d’exceller dans différents domaines. Ils font notre fierté au Liban et dans le monde », déclare-t-elle. Dans un pays plombé par l’incertitude politique et la détérioration de la situation économique, le professeur Marianne Abi Fadel, figure d’exemple de l’émancipation de la femme, vient confirmer que le pays des Cèdres regorge de talents et d’excellence. On pourrait ainsi et, à juste titre, dire : la France a Marie Curie, le Royaume-Uni a Rosalind Franklin, les Etats-Unis ont Rachel Carson et le Liban, rassurez-vous, se fraye, malgré toutes les embûches et grâce à ses prodiges, une voie vers la gloire dans «l’Olympe des sciences ».
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