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Marie-Christine Tayah, lauréate du prix du rallye de l’écriture de 24 heures à Avignon !

09/03/2021|Bélinda Ibrahim

Réinventer le monde, rêver d’aventures, s’évader, voyager, découvrir d’autres horizons tout en restant immobile… Grâce à la lecture, tout devient possible ! Cette année, la manifestation s’est articulée autour du thème « Relire le monde » et a célébré la lecture sous toutes ses formes via des animations in situ, mais aussi des initiatives digitales pour tous les publics. La Maison de la Culture et de la Vie de Campus, en collaboration avec la bibliothèque universitaire Maurice Agulhon et les Éditions universitaires d’Avignon ont participé à ce temps fort de la littérature en France qui a eu pour but de rassembler les participants autour de sujets communs : la littérature et la lecture. Pour cette première édition, un rallye d’écriture a été organisé, autour du thème : VAGABONDAGE. Les participants avaient seulement 24 h pour écrire un texte et le transmettre ! 

 

Vagabonder… au-delà du masque. 

Par Marie-Christine Tayah

 

« Errer dans les visages. Explorer les yeux de passage. Chercher les parfums. Ouvrir grand les narines pour sentir, une bouffée, d’air, d’oxygène ou respirer sa propre haleine… 

Deviner les lèvres timides ou effrontées. Les mots tus ou fatigués. Les vies si peu semblables hier, si peu différentes cette nuit.

Et si le masque devenait peau ? Si l’on pouvait effleurer, du bout des doigts, cet autre, si peu familier, copié mais pas collé, avide et aride à la fois. Si ce bleu, blanc, transparent, si même ce rose, fleuri, pétri, était plus vivant, moins rigide, moins indifférent… 

Dans ce voyage sans but, les masques seuls se reconnaissent. Sur une scène contemporaine. Atemporelle. Jusqu’à nouvel ordre, un peu plus humain... 

Toi toujours pressé, toi qui n’en as pas fini de te lever, qui te lèves et marches, calme ta course effrénée, le tic-tac de ton cardiogramme, l’injection de ton apathie, le froid, le gel de ta face, la mienne, la nôtre… nous avons tous à la tombée de la nuit, le même visage. 

Regarde-moi… et parle. Dis. Lis dans mes yeux ce qu’on ne déchiffre plus sur ma bouche… Bouche-toi les oreilles, oublie le train qui siffle, celui qui part. 

Viens qu’on erre ensemble, à deux, sur un quai de départ ou d’arrivée. Le bon port existe-t-il ?  
Garde ton masque, si tu veux, ta distance, si tu peux, garde ton quatrième mur, mais reste. Reste et laisse-moi errer… Laisse-moi imaginer ton histoire, la mienne, et celle des mille millions d’habitants cloitrés derrière un tissu, dépourvus de sens, de parole, de nez. Robotisés en masse, uniformisés, blasés, nous nous ressemblons ; singes, sages et ambulants. On ne dit plus, ne sent plus. On n’entend plus, n’écoute plus. Est-ce que l’on voit ? 

Sans le regard de cet autre, existe-t-on seulement… 

Je te regarde. Au-delà du masque. Au fin fond de ta peur. Et je te vois. 

Je t’imagine. Petit enfant effronté ou timide, écervelé ou appliqué, aventurier ou studieux, par monts et merveilles, tu croques la vie à pleines dents… tu rêves de tout et de ces petits riens, en éternel émerveillé : « Demain je serai grand… Architecte ! Je bâtirai des immeubles ou des galaxies, des fusées ou des lunes… Astronaute ! J’irai fouler Mars, narguer Jupiter, passer l’anneau à Saturne et j’irai marcher sur la lune ! »

Je te souris, tout bas, derrière ces fibres synthétiques qui cachent mes mots refoulés et mes rides au coin des lèvres sans rouge, ces quelques lignes indignées qui datent d’hier encore. 

Je vais plus loin. Sans boussole. Dans tes yeux. En arrière-plan, tes cheveux au vent. Je fouille dans tes traits visibles… Rebelle ou raisonnable, bouleversé ou sage, égaré ou décidé, guitare à la main ou piano à queue, tu embrassais la Terre entière et tout le quartier… « un jour j’irai faire le tour du monde, du Cuba au Butan, de l’Écosse en Tanzanie, du pôle Nord en Inde… le planisphère sera mon terrain de jeu, et je gagnerai à tous les défis de la vie. » 

Tu me vois voyager. Tes pupilles redeviennent bavardes. Le langage est source de mal-entendus. 

Reste le silence. Et les gestes. Suspendus. 

Ceux de Robison sur son île, au bord du précipice, là où aucune main ne se tend, où l’on (re) naît, chacun pour soi, dans un cocon individualiste ou solitaire, des coulisses éternelles, froides et sans sourires, où même le souffleur est tenu à l’écart.   

Tu t’assois. 

Tu oublies ton masque et les fourberies des proches, les sourires à la Joconde, les faux-serments. Tu parles : « … Un jour, du haut de mes vingt ans, je rêvais d’avoir… un toit, et puis du feu, une marmite chaude, l’odeur d’une sauce provençale, et des rires d’enfant… »

Et dans mes astrocytes de vagabond, je revenais de loin : de Saturne, Mars, Jupiter et de tous les rayons argentés de la lune, des notes déchaînées d’une guitare et du tour du monde… Je revenais d’un long voyage et atterrissais dans un rêve flou, lointain, à table, avec un arrière-goût de pâtes sauce rouge ou l’enchantement d’un enfant… 

Il est trop tard, peut-être. Mais « ce sale espoir » est minuscule et immense. Et toi, à la même âme d’enfant, tu t’acharnes à voir, au-delà du masque. Comme moi, tu vagabondes. 

Le train siffle. Il fait noir, mais il finira par passer. Cette nuit, tu sais, ne le prends pas. Tiens-moi la main, à deux mètres de distance. Laisse courir ton imagination, vagabonder ton cœur. Ensemble, nous irons caresser les fleurs. Ensemble, nous sourirons au ciel, à pleines dents, une lueur au fond des yeux, une coccinelle dans le creux du poignet…

Envole-toi avec moi, sans masque, sans casque, sans bouclier, rêve un peu plus fort, rien n’est loin, tout est là, juste de l’autre côté du chemin, tu vois ? 

Nous courrons dans les champs de blé. »

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