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‘Les Voyageuses’ de Gérard Bejjani

02/11/2020

Pourquoi avoir écrit ce livre ? 

J'ai écrit ce livre pour deux raisons majeures.

Je voulais d'abord constituer une mémoire écrite et vivante de ce que nous avons vécu à bord du Bateau Ivre depuis 2012. Je rappelle que le Bateau Ivre est une société de voyages culturels que j'ai créée en 2012, et qu'en l'espace de huit ans, j'ai organisé 29 voyages, avec plus de six cents personnes à bord. Avec la pandémie, le confinement, la fermeture des aéroports, puis la difficulté de traverser les frontières, le Bateau Ivre, qui avait navigué sur des eaux très douces jusqu'ici, s'est retrouvé coincé, rouillé, presque naufragé. Alors, pendant cette terrible année 2020, j'ai décidé, pour ne pas couler complètement, de composer un journal des 29 voyages déjà effectués : autrement dit, à défaut d'en faire d'autres, il nous était possible de revivre dans le souvenir et le rêve les voyages passés.

Ensuite, avec la situation alarmante que le Liban a traversée et continue, hélas, de traverser, surtout après la tragédie du 4 août, j'ai vécu, comme beaucoup d'entre nous, une perplexité, un désarroi, une impuissance devant l'absurdité de tout, devant la banalité du mal. Je me suis retrouvé sans mots, sans parole, sans gestes, sans dynamisme, sans énergie, sans foi... la dépression. Puis, un matin, au réveil, j'ai eu la force de me reprendre en charge et je me suis mis à écrire, avec une discipline qui est allée grandissant, et j'ai écrit sans m'arrêter pendant un mois, du 10 août au 10 septembre, presque à raison de 18 heures par jour, et cela a donné les 500 pages de ce journal. J'ai donc surtout écrit pour moi, pour me libérer, comme une thérapie, une catharsis.

 

Que représente le voyage pour vous ?

Le voyage représente une seconde vie. Ou plusieurs vies. Plusieurs potentialités de vies. Ne pas être né au Liban et Libanais, mais être né en France, en Espagne, au Portugal, en Ecosse, dans les îles grecques, en Patagonie, à Cuba, en Finlande, en Islande, en Afrique du Sud, au Tibet, au Japon, oui, au Japon surtout. Changer d'identité, être ailleurs, être autre. Et puis, toujours, revenir, rentrer chez soi, comme Ulysse, plein d'usage et de raison.

Mais je ne peux concevoir un voyage sans sa dimension culturelle. Comme le disait Montaigne, le voyage est une deuxième école. Tout voyage nous enrichit, nous grandit non seulement en savoirs, en informations, mais en humanité, en découvertes, en pensées, en émotions.

L'homme s'élargit et son cœur respire, se dilate. Cela nous manque tant aujourd'hui.

 

Le voyage ouvre des horizons, croyez-vous qu’il aide à ralentir l’extrémisme que l’on rencontre de plus en plus autour du globe ?

Il y a deux manières de voyager. Ou deux types de voyageurs.

Il y a le touriste qui voyage sans rien changer de ses habitudes, de son point de vue sur le monde et sur les êtres. En réalité, le touriste ne voyage pas, il transpose son espace, ses comportements, son vase clos, son système de pensée là où il va, comme un boulet. S’il est extrémiste, il le sera partout, il ne verra que ce qu’il est venu voir, ce qu’il a en tête.

Il y a, en revanche, le vrai voyageur qui accepte de se délester de ses habitudes, de faire tabula rasa et peau neuve, d’aller vers l’autre, d’ouvrir les portes, les fenêtres, d’accepter le bouleversement qu’apporte une nouvelle pensée, une nouvelle culture, bref de VOIR et non de comparer, de vérifier, de conclure. Alors un tel voyageur ne peut qu’aller de l’avant, et son voyage le délivrera de toute pesanteur, de tout extrémisme, forcément.

 

Notre patrie est une terre d’émigration, de départs. Suite à tous les événements récents, comment percevez-vous l'avenir du Liban ? 

Le Liban… ô mon Dieu, pauvre Liban !

Depuis la princesse de Tyr, depuis Europe qui se promenait un jour sur les rivages du Sud, et qui fut enlevée par Zeus jusqu’en Crète, depuis Elissar, de Tyr elle aussi, et elle aussi fuyant un soir sur la Méditerranée, et qui devint la reine Didon à Carthage, le Libanais est voué au départ, au voyage, à l’émigration, à l’exil, parce qu’il a une terre trop étroite pour ses grandes aspirations, et parce que le bleu de la mer l’appelle au rêve, aux horizons fabuleux. Mais il y a deux départs : celui qui se rêve, dans la joie et dans la foi, vers une nouvelle terre, celui qui se réalise dans le courage et l’adaptation, et la volonté de revenir un jour parmi les siens, au village, dans sa colline, ses oliviers, le chant du retour au cœur et la nostalgie au front. Et il y a l’autre départ, celui d’aujourd’hui, hélas, le départ forcé, sans espérance, le départ de la survie qui se fait dans le désespoir et la rage, avec le sentiment que notre père, nos chefs, nos gouverneurs nous mettent à la porte, qu’ils nous chassent de notre paradis, nous éloignent de nos racines, de nos parents, de nos pères, nos mères, nos frères, et ce départ-là me fait peur, parce qu’il conduit généralement à l’aigreur, l’endurcissement, le reniement, ou… à une tristesse sans lendemain. Et de nous pousser ainsi à quitter notre sol, notre monde, nos amours, cela est un homicide perpétré par les gens au pouvoir, assis sur des chaises creuses, en or mais creuses, et régnant sur du vide. Ni le temps ni l’histoire ni Dieu ne le leur pardonnera.

Mais demain. Demain viendra. Et le Liban restera la terre du cantique des cantiques. Car plus fort que la mort est notre amour pour cette petite terre, déchirée et pourtant si familière.

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