L’âme. Un concept bien insaisissable sur lequel se penche l’écrivaine considérée comme la plus importante auteure russe contemporaine.
La grande dame de 79 ans, en exil à Berlin actuellement, traduite dans plus de 40 langues, raconte avec beaucoup de finesse, à travers une douzaine de récits (essentiellement puisés dans la Russie d’hier sous le régime soviétique) la difficulté des pauvres gens, la force des femmes russes, mais aussi cette lumière intérieure en chacun de nous et qui est si difficile d’approcher tant la frontière est poreuse entre corps et âme.
Une écriture magnifique, nimbée de poésie, pour décrire des univers singuliers, ce qui aurait très bien pu être des réalités mais réalités insolites, parfois tragiques, qu’elle teinte d’un humour raffiné (« Alice s’achète une mort »). Des situations anecdotiques, des allusions à la magie, à la sorcellerie, des incursions dans l’Histoire, l’enfance, des rêves éveillés, des phénomènes surnaturels… Autant d’images fortes à la limite comme dans un conte, pour traduire des émotions intenses entre mère et fille, entre sœurs, entre époux : « Il allait à sa rencontre, il était déjà en elle et elle en lui, leur étreinte était dense et humide, et voilà que déjà, cela approchait, c’était là, cette sensation de se fondre l’un dans l’autre, quand la frontière entre les corps disparaît complètement, et, pour marquer ce triomphe suprême de la chair qui a renoncé à elle-même et se donne totalement à un autre, dans le grondement du sang dévalant le long des veines, deux flux d’une extrême pureté se précipitèrent l’un vers l’autre - le liquide visqueux et sacré qui contient le germe de la vie, et l’autre, l’eau accueillante qui invite et reçoit. »
Ludmila Oulitskaïa a fait beaucoup parler d’elle depuis son engagement contre Vladimir Poutine et a souvent été pressentie pour le prix Nobel. Dans ce recueil de nouvelles saisissant, aussi agréable à lire qu’à faire réfléchir, et pour reprendre les termes du jury du Prix littéraire Formentor qu’elle a remporté en avril 2022, pour l’ensemble de son œuvre littéraire (une quinzaine d’œuvres toutes éditées chez Gallimard), l’auteure s’aventure à explorer « ce qui se refuse aux définitions » mais à sa manière, avec « le souffle narratif puissant avec lequel elle enregistre les émotions les plus subtiles de l’âme humaine, (avec) la sensibilité avec laquelle elle raconte l’épopée de personnes jetées dans le labyrinthe du monde (avec) la délicatesse avec laquelle elle réhabilite la dignité d’hommes et de femmes soumis au sort despotique du malheur ».
Une écriture lumineuse pour une lecture toute aussi jubilatoire traduit avec bonheur en français par Sophie Benech.
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