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La Chaîne humaine

27/10/2019|Gérard Bejjani

Ma raison défaille. J’ai perdu toute intelligence.
Elle s’est épuisée à vouloir comprendre leur insouciance. Ils ne bougeront donc pas ? L’irresponsabilité. Ou le mépris ou l’ignorance.
Et aujourd’hui ? Que quelqu’un m’explique où est le mensonge dans la chaîne humaine de ce beau dimanche. On aime le Liban et on est « contre », mais contre quoi au juste ? Que des milliers de Libanais se mobilisent pour la première fois depuis des années contre l’oppression, l’infection, l’incompétence de leurs chefs ? Peut-on aimer le Liban et refuser son drapeau, son seul drapeau depuis dix jours ? Peut-on aimer le Liban et soutenir la peste, le brigandage ? Peut-on aimer le Liban et préférer la désespérance au renouveau ?
De grâce, que quelqu’un me réponde… Quel est donc ce mystérieux « autre point de vue » dont on me parle sans jamais dire lequel ?
J’enseigne la dialectique entre deux légitimités défendables mais je sais aussi avec Malraux, Camus, Soljenitsyne, Mandela, que non, il est une position non défendable. Toute opinion contre l’humanité.
Non, le génocide n’est pas un autre point de vue. Le nazisme, le stalinisme, le sionisme, le nettoyage ethnique ne sont pas un autre point de vue. Les Talibans, l’apartheid, Hiroshima, BokoHaram, Daéch, ne sont pas un autre point de vue.
La corruption n’est pas un autre point de vue.
Aujourd'hui il n’y a plus d’ambiguïté.
D’un côté l’oppresseur qui se trouve au pouvoir et qui de toute façon ne peut comprendre de lui-même qu’il opprime puisqu’il ne connaît ni la faim ni la souffrance ni la frustration ni l’impasse de son peuple. Ce n’est pas son chemin. Il reste assis sur son trône d’ivoire, enfermé dans ses privilèges, accroché à ses intérêts, aveuglé par la seule peur de devoir les perdre un jour.
De l’autre l’oppriméqui se trouve dans la rue, assoiffé de pureté, d’idéal, de justice. Sans doute s’emporte-t-il parfois, sans doute ne sait-il pas toujours où aller, comment faire, sans doute fait-il des erreurs, mais lui, au moins, a l’innocence de la brebis égarée, la vertu de l’ouvrier, l’humilité de la terre. Il gagne son pain à la sueur de son front et n’a pas les mains sales. Il est fatigué de supplier, de mendier, de pactiser pour son droit le plus élémentaire, et la liste est longue. Lui, au moins, refuse, comme l’écrit André Malraux, « ce que voulait en nous la bête », il veut « retrouver l’homme partout où il a trouvé ce qui l’écrase ».
Aujourd’hui, en ce blanc dimanche il n’est plus d’autre point de vue.
Il faut descendre, le visage digne, le cœur grand, il faut descendre dans la rue.
Se tenir les mains. Solidaires. Amants. Vivre. Étreindre la vie. Faire corps avec sa terre comme miraculeusement guérie. Jamais elle n’aura été aussi propre, aussi belle. Porter le Liban. Face à sa montagne encore debout. À la Méditerranée bleue encore. Limpide en ce jour. Soudain purifiée. La pensée de midi, comme l’appelle Camus, l’heure sans ombre « où l’intelligence est sœur de la lumière ».
Alors leur conscience se réveillera. Enfin elle sera responsable. Et ils feront preuve de courage et ils agiront. Et les routes seront rouvertes. Et rien ne sera désormais plus comme avant.
Et puis… et puis… se retirer en silence. Pour mieux entendre le doux balancement de la vie et de l’espoir. Pour mieux réfléchir. Pour trouver. Car les grandes pensées viennent dans le monde sur des pattes de colombe.
 


 

Photo : ©corine_abj

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