Encore une nuit sans sommeil. Ni le jour la nuit.
Peu importe. Plus personne ne dort. Le pays se réveille d’une longue léthargie.
Ce matin mes larmes coulent de reconnaissance envers tous mes frères de l’exil. Les exilés reviennent. Dans les avions, ils chantent, eux aussi, le carnaval. L’hymne national. Ils sont venus dire qu’ils sont partis malgré eux. Que le pays leur manque à en mourir. Qu’ils ont confiance à nouveau. Qu’ils sont impatients d’embrasser leur terre à nouveau. Leur terre chaude et propre qu’ils portent en eux, où qu’ils aillent, où qu’ils soient. Un immense cri de foi s’élève dans le ciel.
Ce matin mes larmes coulent de solitude quand je pense à tous mes frères que j’ai perdus. Tous les amis qui ne sont plus. Car quelle amitié peut résister à tant d’aveuglement ? Tant pis pour le discours du président tant attendu. Il vous a déçus plus qu’à moi, mais il a fait ce qu’il a pu. Il n’est qu’un homme, et son âge avancé, son port affaibli le rendent presque attachant. Tant pis pour les saigneurs du pays, l’or les a depuis longtemps corrompus. Mais vous, vous mes frères, vous mes amis ? Vous avez un autre point de vue, dites-vous. Je ne comprends rien à la politique, dites-vous. Que faut-il comprendre sinon que notre terre agonise sous nos yeux, sinon que la douleur est grande ? Je crains, moi aussi, que le cycle ne reprenne, que tout change pour que rien ne change, que nous passions du même au même. Mais la peur n’a jamais rien donné et on se doit d’essayer, on se doit d’espérer. Alors, vous et moi, de grâce, ne cherchons plus ni la cause ni le coupable, ni les alliances, ni les rancunes, mais à faire cesser la souffrance. Ne plus savoir qui a tiré la flèche en premier, mais juste la retirer de notre grand corps blessé.
Je vous en supplie, à genoux de jour en jour, descendez vous aussi dans la rue. Et si ce n’est sur le terrain, faites-le à votre manière. Même si vous n’y croyez pas, même si votre raison vous en empêche. Venez juste voir ce qui se dit sur les visages, au fond des yeux. Une soif de renouveau, de pureté. Une chaîne d’amour et de solidarité au nom de l’homme et de sa dignité. Revenez, comme les exilés. Juste pour être ensemble, juste pour s’aimer. L’humilité révèle des lumières célestes et la conversion est un signe de grande force. « La réforme morale est l’effort accompli pour secouer le sommeil » et notre indifférence,nous enseigne Thoreau. Car de toute façon, ni vous ni moi ne dormons plus depuis huit jours. « Le matin c’est quand je suis éveillé et qu’en moi il est une aube ». Il faut imaginer le Liban heureux.
Photos : © Elie Bekhazi
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