« Heal the boy » * de Sami Basbous, une autobiographie courageuse et réparatrice
18/10/2019|Bélinda Ibrahim
« S’est-on jamais senti proche de ce monde ? A-t-on jamais perçu une parenté, une appartenance ou ne serait-ce qu’un voisinage avec lui ? Sami Basbous semble être né par mégarde et le monde lui aurait été donné comme le terrain mouvant où expérimenter des types de réponses à ces types de questions. En baladin et non sans une certaine intelligence maligne à re-voir et à exprimer avec des mots les événements d’une existence, la vie paraît si aiguisée selon lui qu’elle en arrive à couper littéralement le temps. L’auteur aborde ainsi au fil de cette bio-narration de nouvelles rives, le rêve d’un autrefois proche ou lointain qui l’aura mené du Liban à l’Afrique, de l’Afrique à l’Europe et de l’Europe à l’Amérique faisant passer tout le présent dans le passé pour le redéployer. Un parcours diversement remaniable qui remue et se fonde dans la paix et la guerre de ses multiples visages. Artiste de l’instinct (poète, musicien, plasticien…), de l’expérimentation continue (sexuelle, politique, sociale), chacune de ses respirations, visions, rêves remémorés lui sont autant de combats et de révélations. Son champ d’expériences trace dans les choses vécues des lignes d’affection et des points de perception réinventés, et c’est en ce sens que le devenir singulier de Sami concerne en droit tout le monde dans le monde
Ce texte est donc le récit d’une vie précieusement quelconque mais singulière, c’est-à-dire une fiction où le temps et sa durée se cristallisent pour revendiquer des points de vue et des vérités résolument partielles mais toujours visionnaires : comment se séparer de soi-même et des autres pour trouver à chaque détour accidentel la voie vers d’autres formes de vies. Dans ces cartographies successives, on voit. On voit le temps faire son travail, les événements deviennent ainsi le sens lui-même de la vie, et le langage fabriqué dans ce livre pour le dire est ce qui peut se dire des choses de la vie.
Changé, modelé, coupant et coulant, changeant et modelant, Sami Basbous donne le large où il s’enfonce avec honnêteté et liberté. Il ouvre au présent un livre de vie, il ouvre le livre de la vie. » Ce sont les mots de la préface de l’ouvrage, écrits par Frank Smith,écrivain et poète, vidéaste et réalisateur. Des mots qui décrivent au plus près Sami Basbous, cet écorché vif passionné, dopé à l’adrénaline de l’amour empathique, lui qui est la bienveillance incarnée !
Pourquoi “ Heal the boy” pour titre ?
À ceci Sami Basbous répond : « Je ne souhaite jamais entendre le terme man-up (sois un homme) dit à un garçon, comme on me l'a souvent dit dans notre société machiste et patriarcale. Enfant, j’étais conscient de ma différence, de surcroît alimentée par le regard soutenu des adultes. S’ensuit, mon refus d’être condamné. En quête d’amour, je m’engageais dans des chemins douteux qui me menèrent vers anges et démons autant dans la lumière que dans l’obscurité. Je suis tombé gravement malade et fus miraculeusement guéri. J'ai alors pris conscience de ma profonde humanité. J'ai sus me libérer de mes maux, et remonter la pente : je ne serai plus victime de guerre, d'abus, de stigmatisation, et de perte. Je reconnais alors en l’homme - l’enfant sain et sauf. » Quid du timing de la publication pour un homme qui produit sur tous les plans et qui écrit sans cesse ? ll lui a quand même une force extérieure qui le pousse à faire ce pas de plus vers la publication. Il écrit sans cesse, certes, et couche sur papier (ou sur des toiles) des mots (des peintures) qui pansent ses maux. C’est son frère Fadi qui l’encourage vivement, après avoir lu un de ses chapitres, d’achever l’ouvrage et de le rendre public. L’accouchement s’est fait avec beaucoup de contractions et de douleurs, mais sous le signe de la délivrance et de la libération absolue.
10 questions à Sami Basbous
Quel est votre livre favori ?
Autobiographie d’un Yogi de Paramahansa Yogananda.
Le film que vous visionnerez en boucle sans vous lasser ?
Les Damnés de Luchino Visconti. La scène où Helmut Berger se travestit en Marlène Dietrich me distord le cou et l’esprit. J’adore.
Votre « Madeleine de Proust » ?
Les escargots sortant la tête de leur coquille lorsqu’il pleut.
Votre couleur préférée ?
Du rouge à l’or.
Votre pays idéalisé et fantasmé se trouve où sur la carte géographique ?
Quand j’étais jeune, je dessinais des îles paradisiaques où je rêvais un jour y vivre libre à deux, entouré de toutes espèces de plantes et d’animaux. Ce pays existe toujours dans la carte géographique de mon cœur et nulle part ailleurs.
Quelle est la plus grande folie que vous ayez jamais commise ?
Une fugue à Los Angeles. J’avais 20 ans, j’étais fauché et je ne connaissais qu’un chat, très vaguement.
Si vous deviez renaître, quels changements souhaiteriez-vous ?
Je suis une vieille âme. Je le sais. J’aimerais renaître une fois de plus en une femme anglaise, écrivaine excentrique, tranquille dans sa folie et ses passions à la campagne avec son homme, ses chats, ses chiens et son ravissant petit jardin.
Avez-vous aimé quelqu’un au point d’en pleurer ?
Oui, bien sûr et l’inverse est tout aussi vrai, hélas…
Avez-vous peur de la mort ?
Non, j’étais de passage à plusieurs reprises. Je suis impatient de redécouvrir ce royaume aux dimensions extraordinaires où l’amour règne inconditionnellement, mais je ne le chercherais pas volontairement.
Un génie vous apparaît. Faites un vœu...
Va voir ailleurs.
* Édité par Noir Blanc Et Caetera
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