Moi qui suis issue de cette société, qui ai grandi en son sein, qui l’observe de près et de loin, qui croyais en avoir fait le tour, je reste stupéfaite.
La détermination, le courage, la fougue, la rage, la révolte ont émergé jour après jour des Libanais meurtris. Il y avait de quoi être fier de leur ralliement pour stopper la nécrose qui, en les avilissant, les a tous réunis.
Puis, au 27ème jour de persévérance dans le calme, l’union et la paix, déboula un cataclysme que même les plus « angéliques » n’ont pas vu venir. Des paroles dures, un mépris cinglant, un manque d’empathie obscène, un affront, un soufflet… On appellera cela comme on veut, le résultat restera le même : un raz-de marée d’indignation submergea les côtes, mais aussi les montagnes, les plaines et jusqu’aux cieux. Des grappes humaines se jetèrent dans les rues pour hurler leur colère.
Assise devant ma télé, séparée des miens par autant de terres que d’océans, j’ai pris peur. Le sol se dérobait sous moi. Un tremblement de terre n’aurait pas fait le même effet. Tout basculait : mon pays, les Libanais et leur belle révolution avec.
Je m’attendais à ce que le lendemain soit noir, comme il avait commencé avec la mort d’un premier martyr. Noir comme l’échauffourée violente contre l’armée, dans la nuit. Même effroi quand un énergumène armé se mit à tirer à bout portant sur une foule modeste de protestataires. Plus tard dans la journée, le spectre de la grande noirceur libanaise, la guerre civile, s’abattit implacable avec le mur que certains enfoirés se mirent à ériger juste à l’endroit emblématique de cette sale guerre…
Mon cœur saigna. Ma révolution était piétinée. Le rêve s’évanouissait.
Mais quel ne fut mon étonnement avec les heures qui passaient, de voir comment les foules étouffaient les débordements en faisant passer le mot d’ordre « Gardons la révolution pacifique », que les masses se liguaient à faire circuler du Sud au Nord.
À ce peuple qui démontre un civisme exemplaire, instant après l’autre, dans chaque quartier, devant chaque épreuve ; à cette population de femmes et d’hommes profonds, matures, conséquents avec eux-mêmes et leurs revendications ; à ces révolutionnaires qui surmontent leur fureur et dépassent tous leurs différends pour rester unis, conformes à l’esprit de leur révolution, à ses principes et à ses idéaux ; à mes compatriotes qui nous font honneur par leur comportement contrôlé, respectueux et civilisé alors même qu’ils valsent au-dessus du gouffre… Je ne peux que m’incliner. Vous forcez notre admiration.
Photo : Jamil Molaeb
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