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De Beyrouth au reste du monde : Demain aussi je descends

04/11/2019|Tania Hadjithomas Mehanna

Demain aussi je descends sur les places. Demain je descends aussi parce que tout remonte en moi. Les années de guerre où d’abri en abri nous attendions le miracle. Les années où nous avons perdu nos maisons, nos amis, nos terres et notre enfance. Les années des milices où nous devions courber l’échine devant tel ou tel maitre de guerre. Les années que l’on nous a volées et qui ne reviendront jamais. Les années d’après-guerre où l’on nous avait juste dit que c’était fini mais où ils étaient encore là, eux. Les années où nous devions juste reconstruire, se reconstruire à l’ombre de leurs grands crimes qu’ils n’ont jamais voulu avouer, payer, ou même reconnaitre. Les années où nous devions nous arrêter aux barrages d’une armée étrangère et attendre que l’on nous laisse passer et vivre. Les années où nous devions élire les mêmes, toujours eux, rien que « eux ». Les années où nous avions relevé la tête, investi les places et où nous y avions cru. Les années où on nous a arraché nos espoirs. Les années où nous avons pleuré les bons, les justes, les courageux qui tombaient. Les années où de guerre en blocages nous ne savions plus où nous étions. Les années où nous avons vu notre pays s’éloigner. Les années où nous avons dû travailler plus pour payer plus de taxes sans rien en retour. Les années où nous étions devenus totalement invisibles. Les années où nous avons vu nos enfants partir et ne plus avoir envie de revenir. Les années où nous n’avons plus pu nager dans notre mer, respirer notre air et rêver sous notre ciel. Les années où nous avons commencé à perdre espoir, à ne plus avoir de place, dans notre propre pays, à nous préparer au douloureux exil. Demain aussi je descends et je remonte petit à petit la pente pernicieuse sur laquelle nous glissions lentement mais sûrement vers un non-pays. Je remonte dans ma propre estime après avoir constaté plus d’une fois mon incapacité à changer les choses. Je remonte du gouffre noir de mes pensées noires dont j’avais de plus en plus de mal à émerger. Je remonte dans mon admiration de ce peuple si courageux et si extraordinaire qui continue à se battre même contre le plus affreux des monstres à cent têtes.

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