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Carole Dagher : L’invité des Médicis ou les mémoires de Fakhreddine II

05/03/2020|Zeina Saleh Kayali

Ce roman historique s’apparente à l’essai par la précision de sa documentation. C’est un travail qui a pris beaucoup de temps ? 

Cinq ans ! Et il se situe dans la veine de ce j’ai l’habitude de faire (1). Je travaille longtemps les recherches et la documentation et essaie de coller au plus près de la réalité. Une fois le cadre posé, je construis ma fiction. Mon expérience de journaliste m’a appris que très souvent la réalité dépasse la fiction et sur les cinq ans que Fakhreddine II a passés en Italie, beaucoup de vides n’ont pas été remplis par les historiens. Une chance pour le romancier ! A part les visites qu’il a effectuées sur différents sites et qui sont consignées par ses biographes, que sait-on réellement de son emploi du temps ? Cela m’a permis de construire ce roman.

 

Le séjour italien de Fakhreddine a duré cinq ans. A-t-il eu des conséquences sur le Liban ?

Des conséquences considérables ! Fakhreddine II était un esprit éclairé et curieux et l’effervescence qui règne dans la cité florentine du 17e siècle le fascine. Il a voulu faire bénéficier sa principauté de tout ce qu’il avait vu et entendu en Toscane : les grands travaux, l’architecture (toits de tuile et arcades), la forêt de pins à Beyrouth, la culture du chou-fleur, du lin … Il voulait devenir mécène comme les Medicis et s’est intéressé à la peinture et à la sculpture. Par ailleurs, il était foncièrement rebelle à tout hégémonisme, notamment celui du wali de Damas, et voulait conserver une entière souveraineté sur sa principauté (et particulièrement la Bekaa).

 

L’histoire est donc un éternel recommencement ? 

La géographie détermine le destin d’un pays, c’est de la géopolitique. Or le Liban est à la fois prisonnier de sa géographie, comme il en est bénéficiaire. Il a de tout temps été le point de rencontre des empires et des envahisseurs, a été dominé par de nombreux peuples et en même temps il a en permanence cherché à s’affranchir. Ce combat pour la liberté et la souveraineté fut le pivot de la politique de Fakhreddine II. 

 

Fakhreddine II pourrait être d’une certaine façon le prédécesseur des aspirations libanaises qui se sont exprimées dans la création du Grand Liban, dont nous célébrons le centenaire ?

Je le pense, oui. Il est communément considéré comme « le père fondateur du Liban ». Avant l’Etat, il y avait l’Emirat. Cet embryon d’Etat qui est la base d’une certaine conscience nationale et historique, a duré quatre siècles, avec les Maan d’abord puis les Chehab. Peut-on pour autant parler de nation ? Je n’en suis même pas sûre aujourd’hui. Pourtant cet émirat portait déjà les caractéristiques de notre Liban d’aujourd’hui : diversité, coexistence, échanges… Fakhreddine II a voulu créer une principauté indépendante, mais la Sublime porte ne l’entendait pas de cette oreille. 

 

C’était vraiment une personnalité peu commune ?

Sans aucun doute. C’est le Charlemagne du Liban. Un précurseur du dialogue des cultures, de la rencontre Orient - Occident. Il a reçu un choc culturel en arrivant en Italie, et au lieu de rejeter cette culture, il s’est ouvert à elle, s’en est imprégnée. Par ailleurs, il gouvernait au plus près de son peuple, il savait tout : le nombre d’habitants et d’artisans de chaque village, les troupeaux, les plants d’arbres. Il gérait les affaires de son émirat avec minutie. Une personnalité vraiment hors norme, les témoignages sont très nombreux à ce sujet. 

 

Le roman est rédigé à la première personne, comme un journal imaginaire de Fakhreddine. Etait-ce facile pour vous ? 

C’est tout le travail du romancier, se mettre dans la peau de son personnage. J’essaie de décrire le plus fidèlement possible les différents épisodes qui parfois tiennent en quelques lignes dans les chroniques. Je vous donne l’exemple où Fakhreddine II en exil veut revoir son pays. Son navire, parti de Messine, reste au large du Liban et ne peut accoster. Ce sont ses partisans qui prennent des barques pour venir le voir. Les chroniqueurs décrivent cette scène de façon laconique, alors qu’elle porte une grosse charge émotionnelle. Fakhreddine II doit rebrousser chemin et ne retrouvera son pays que trois ans plus tard. 


La fin de Fakhreddine est tragiquement violente ?

Oui. Il a tenu tête au pouvoir ottoman. Et il s’est comporté en souverain à part entière, totalement indépendant. La Sublime Porte ne l’a pas accepté et lui a tendu un piège. Les armées du Sultan, de retour de Perse, demandent à camper sur ses terres. Il prend une décision politique forte : il refuse. Je ne pense pas qu’il se croyait invincible, mais c’était un joueur d’échecs invétéré. En même temps, il voulait protéger le pays de toute occupation, consentie ou forcée. Il avait aussi cet espoir fou que la flotte toscane viendrait à son secours, ce qui évidemment ne fut pas le cas. Ce fol espoir d’un Occident qui va nous sauver est très Libanais. 

 

La première de couverture le représente ? 

Non il s’agit d’une œuvre de Jozsef Borsos, intitulée Emir from Lebanon. Ce peintre hongrois a visité le Liban au 19e siècle, alors que l’orientalisme européen battait son plein. J’ai découvert ce tableau lors d’une visite au musée national de Budapest en 2017. Il m’est apparu évident que ce serait la première de couverture de mon roman ! Quant à Fakhreddine, un seul tableau a été exécuté de son vivant, il s’agit d’une gravure à l’eau forte qui est restée à Florence. J’en raconte l’histoire aussi.

 

(1) Carole Dagher est notamment l’auteure d’une trilogie racontant la naissance du Liban moderne, Le Couvent de la Lune (Plon, 2002), Le Seigneur de la Soie (Plon, 2004), et La Princesse des Batignolles (Editions du Rocher, 2007)


A savoir

Mardi 10 mars à 19h

Librairie le Divan

203 rue de la Convention 75015 Paris

 

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