D’où vient le nom Tabaris ? Profondément ancré dans la géographie beyrouthine, il n’apparaît pourtant dans aucun des plans de la ville. On désigne par Tabaris la région qui prolonge le Ring et amorce l’avenue Charles Malek, mais aussi la place qui porte pourtant le nom de Gebran Tueni. L’appellation déborde parfois et englobe une partie des quartiers de Mar Maroun et de Saint-Nicolas. Certains riverains parlent d’un cabaret célèbre au début du XXe siècle qui aurait donné ce nom à ce bout de quartier. Cabaret ou pas, officiel ou pas, Tabaris est devenu une revendication. Revendication encore plus forte après la menace qui a plané en 1997 suite au projet saugrenu d’y faire passer un pont métallique de trois étages pour désengorger le trafic. Le quartier Saint Nicolas aurait alors été scindé en deux et les rues Sursock et Sélim de Bustros difficilement accessibles. Les riverains se sont mobilisés et l’idée a été abandonnée.
Mar Nqoula tient son nom de l’église grecque-orthodoxe dédiée à saint Nicolas. Ce faubourg de la ville s’urbanise peu à peu dans les années 1860 avec l’acquisition de terrains et l’apparition de belles maisons construites par la bourgeoisie chrétienne notamment grecque-orthodoxe. Tranquille, le quartier se développe en harmonie jusqu’aux années 60 où l’afflux des capitaux étrangers et l’ouverture de l’avenue Fouad Chéhab conduisent à une urbanisation plus chaotique. La destruction des souks en 1975 provoque un repli vers Saint-Nicolas des commerçants chrétiens. Aujourd’hui, l’avenue Charles Malek divise le quartier en une partie basse qui converge vers le port et Gemmayzé et un plateau qui pénètre plus en profondeur dans la colline d’Achrafieh.
La rue Sursock, du nom d’une famille venue de Turquie s’établir au Liban, est sans conteste une des plus belles rues de Beyrouth avec ses palais qui se succèdent, ses pins à l’ombre accueillante, ses myriades de jardins fleuris, le Musée Sursock qui se dresse là, magnifique, et ce « charme discret de la bourgeoisie » qui la nimbe toute entière. Si les riverains ont longtemps milité pour lui garder tout son cachet, si Lady Yvonne Sursock-Cochrane, consciente du danger qui allait tôt ou tard devenir réalité, a acquis, dès les années 50, de vieilles maisons pour les préserver, la rue n’a pu esquiver le collimateur des entrepreneurs. Sur la plaque signalétique qui souligne le caractère traditionnel du quartier, un riverain a marqué d’un trait de peinture blanche rageur toute son amertume et sa colère.
Avec ses deux cents marches et ses vingt-trois paliers, l’escalier Saint-Nicolas, appelé aussiDaraj el Gemmayzeh et Escalier des Arts, est le plus long de Beyrouth. Construit en 1850 pour permettre le passage des chevaux, il était constitué de quelques marches en pierre et envahi d’herbes folles, fournissant une cachette idéale aux voleurs ou aux résistants à l’occupation ottomane. Des sycomores y sont plantés et, petit à petit, les maisons à deux étages se nichent de part et d’autre. En 1986, l’Association du développement de Gemmayzeh décide de donner vie à cet escalier et d’organiser, une fois par an, une exposition d’art collective. En 1999, grâce à un généreux donateur qui a voulu garder l’anonymat, l’escalier est réaménagé. Les nombreux pubs qui s’y sont installés dernièrement avec l’expansion de la night life rue Gouraud, n’ont pas entaché la valeur patrimoniale de ce Daraj el Sraska qui est entré dans la légende de Beyrouth.
« Etant épris de beaux-arts et aspirant à leur propagation, en particulier, dans ma patrie, le Liban ; souhaitant que ce pays en reçoive une part substantielle et que mes concitoyens apprécient les arts et développent un instinct artistique…Etant donné que ce musée demeurera éternellement et perpétuellement…, cet ensemble portera le nom de “Musée Nicolas Sursock”... Dans son testament, Nicolas Ibrahim Sursock vient de faire à la ville de Beyrouth un merveilleux cadeau. Le palais en lui-même est un chef-d’œuvre d’architecture et la dimension que vient de lui conférer ce geste parfaitement esthète aura d’importantes répercussions sur la vie artistique de la ville. Edifiée en 1913 au milieu des jacarandas, des glycines et des frangipaniers, cette magnifique demeure servira de résidence à un homme qui a fait de la beauté et de l’art un mode de pensée. À sa mort, en décembre 1952, et n’ayant pas d’héritiers directs, Nicolas Sursock lègue son palais à la ville de Beyrouth. Mais ce n’est qu’en 1962 qu’il devient officiellement le Musée Sursock. Entre 1953 et 1957, il servira de lieu de résidence aux hôtes prestigieux qui se succèdent au Liban. Dans son discours inaugural, Lady Yvonne Sursock-Cochrane, présidente du comité du musée insiste sur l’importance de révéler aux Libanais les trésors du patrimoine national. En 1962, quelques 300 manuscrits, livres anciens et estampes provenant de collections privées sont présentés au public. En février 1964, des reproductions de dessins de Léonard de Vinci sont exposées et, en avril 1964, les sculptures et les aquarelles de Rodin enchantent les connaisseurs. Entre 1970 et 1974, des travaux de réaménagement nécessaires transforment le lieu en un musée proprement dit. Le Salon d’Automne qui réunit les artistes libanais prend alors ses aises. En mars 1999, un accord de coopération est signé entre le Musée Sursock et le Centre Georges Pompidou. En 2009, le Musée est en travaux. Une annexe de six mille mètres carrés y sera ajoutée dans les sous-sols. D’après les plans de Jean-Michel Wilmotte et du bureau d’architecture Jacques Aboukhaled y sont prévus un grand auditorium, une médiathèque, des salles d’exposition, des espaces pour le stockage des œuvres d’art et un parking. Le tout d’après les plans. On pourra ensuite retrouver les escaliers monumentaux qui donnaient à ceux qui les empruntaient l’illusion de jouir d’un privilège.
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