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Ali Othman, le haut-parleur de la rue

04/11/2021|Jorge Ballif

C’est après plusieurs heures de route à travers le Mont-Liban et la Bekaa que je me rends pour la première fois dans la ville de Majdal Anjar. Il fait nuit, une nuit sans lumière comme si la lune se cachait derrière les reliefs de l’Anti-Liban. Seule la ville de Zahlé brille au loin et éclaire le reste de la plaine comme un phare dans l’obscurité. Arrivé chez mon hôte nous nous asseyons pour manger et discuter le temps que nous rejoigne le rappeur Ali Othman, objet de ma visite. Plusieurs heures passent avant qu’il ne foule le pas de la porte : visage creusé, barbe hirsute et cheveux longs, Ali a vingt ans mais il en fait presque trente. Un parfum de première fois se fait sentir. C’est sa première interview, son premier contact avec la presse, et je sens moi aussi que cette rencontre n’aura pas exactement la même saveur que celle de mes précédentes interviews. Nous nous installons face à face et nous commençons instinctivement à parler musique : Bu Kholtoum, Amir al-Mouarri, Chyno… il me fait écouter les artistes et le style qui l’ont influencé. Un rap majoritairement d’origine syrienne, profondément engagé, qui dénonce dans ses textes les atrocités de la guerre, les souffrances indélébiles que l’on ressent quand on est forcé de quitter sa famille et son pays pour ne jamais revenir, les difficultés presque insurmontables que le statut de réfugié engendre. Un rap qui lui ressemble, des lyrics qui lui parlent. 

 

Syrien originaire de Damas, Ali habite au Liban depuis 2013. Il fait partie de cette jeune génération que la guerre a brisé, mais qui n’a pas perdu espoir. Professeur d’escalade le jour, c’est une fois la nuit tombée qu’il peut s’exprimer et vivre sa passion : une enceinte, une instrumentale, old-school de préférence, et Ali crache le feu pour couvrir le bruit des bombes qui résonne dans sa tête, le temps d’un seize mesures. Le flow est rapide, le texte puissant. Je reste ébahi par son talent et par l’aisance avec laquelle il transmet ses émotions. Tel un sniper dont les mots seraient des minutions, il vise à tour de rôle les politiciens, les miliciens, les geôliers qui oppriment sans être punis. Il me l’avoue lui-même : « je rap par passion, mais aussi car j’ai vite compris que le rap était le seul moyen à ma disposition pour exprimer mes sentiments, parler de ma culture et condamner ceux qui mérite de l’être sans être limité. À travers lui je peux délivrer mon message sans complaisances ». Mais cet avis est loin d’être partagé par tous au sein du monde arabe. La musique rap est selon ses propres mots « asphyxiée » et peine à se faire une place au sein d’une culture, certes très riche, mais qui ne l’accepte pas comme un art à part entière. Son développement n’est bien sûr pas soutenu par des pouvoirs publics bien conscients du potentiel subversif de ce genre musical qui est devenu au fil du temps le haut-parleur des populations marginalisées à travers le monde. Tunisie, Palestine, Syrie… On ne compte plus les scènes musicales du Moyen-Orient où la parole des rappeurs est censurée, voire interdite. Ce n’est bien sûr pas le cas du Liban, mais même ici Ali ne s’est jamais vraiment senti libre de s’exprimer totalement : « la Syrie et le Liban sont des pays voisins et beaucoup de syriens ont fait le même chemin que moi. S’exprimer sur les évènements en Syrie et critiquer ouvertement le gouvernement représente toujours un risque. Je ne peux pas viser explicitement un homme politique par exemple, seulement faire des allusions. ». 

En attendant que des opportunités concrètes s’offrent à lui, Ali se rend souvent à Station Beyrouth pour performer avec son Crew Damascene Band composé comme lui de jeunes rappeurs syriens basés au Liban. « On continuera à faire du rap tant qu’il y aura des injustices dans nos sociétés. Et si on m’interdit de le faire chez moi, j’irai ailleurs sans jamais m’arrêter ». 

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