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‘Voyage en pays Druze’ ou la quête identitaire et libératrice de Samer Mohdad

29/11/2018|Bélinda Ibrahim

Le récit est romancé, mais riche en références historiques. Il met en lumière les origines des Druzes et de facto celles de Samer Mohdad puisqu’il fait partie de cette mystérieuse minorité méconnue du grand public. Tout le long de son ouvrage, l’auteur sonde, à travers une épopée familiale sur fond de guerre civile, l’origine de ce ‘Pays (paysage) Druze’ qui lui est tombée dessus, un peu comme un éclat de météore…Son ouvrage s’inscrit dans la lignée des recherches, entreprises au préalable par sa mère aujourd’hui décédée, afin de l’aider à éclaircir les zones d’ombres autour de son appartenance. Mais aussi et surtout, de lui permettre de s’en libérer comme pour tout esprit ouvert sur les fenêtres de l’ailleurs et qui refuse d’être catégorisé, stigmatisé, casé. 
L’auteur vous donne rendez-vous le samedi 1er décembre pour une rencontre/dédicace à la Librairie Antoine-Beyrouth Souks de 17h à 20h00. Entretien.


Le récit commence par un ‘choc religieux’ : vous apprenez que vous êtes druze et non pas chrétien comme vos camarades de classe. Comment avez-vous vécu le début de cette différence imposée ?
Cet événement m'a poussé à essayer de comprendre la raison d'être dans cette vie. Nous arrivons au monde sans avoir le choix de notre sexe ni de notre identité sociale. En fait, nous naissons soumis à notre appartenance et à notre affiliation génétique. Ensuite, il faut faire avec pour répondre aux demandes de notre esprit, qui ne nous appartient pas, mais qui fait partie du cerveau universel. Depuis, j'œuvre pour ne plus revenir dans ce monde sous la forme d'un être vivant, mais plutôt rester à l'état d'une énergie libre de ses actes.

La guerre déclarée ou larvée semble être le lot de tous les Libanais à différentes étapes de leur vie. Quel événement de cette guerre (ces guerres plutôt) vous a le plus marqué ?
La vue du portrait de mon professeur de jiu-jitsu tué au début de la guerre. Un jour, au début de l'été 1975, je tombe sur sa photo dans le journal. Je lis alors les quelques mots qui accompagnent son image : ‘le parti Kataëb annonce le décès du camarade martyr Guy Hélou, tombé dans les combats aux souks de Beyrouth’. Ce qui m'a chagriné encore plus sera d'apprendre plus tard qu'il a été abattu par un milicien du même clan, lors d'un conflit autour du partage du butin du pillage d'une bijouterie au centre-ville.
Une autre scène télévisée m'a aussi beaucoup choqué : la vision de Samir Kassir et de son corps coupé en deux à la suite de l'explosion de sa voiture lors de son assassinat en 2005. Durant une semaine, je n'ai pas pris ma voiture et encore souvent, je revois son image lorsque je démarre ma voiture le matin.

Vos allers-retours entre passé présent et futur fantasmé confirment que l’extrémisme religieux est la plaie qui gangrène le monde. On retrouve, dans un de vos chapitres, une similitude avec l’ouvrage de Michel Houellebecq ‘Soumission’...Ce chaos (mondial) vous semble-t-il inévitable? La laïcité est-elle l’unique solution qui sauverait une Humanité en grand péril ?
La soumission aux diktats d'une religion commence tout d'abord par une abdication ; c'est d’ailleurs le sens du mot islam en arabe. 
Pour moi, nous vivons dans le chaos depuis un long moment, et si on ne le voit pas clairement, c'est parce que nous le subissons à petites doses graduelles, comme un élixir qui promet la gaieté absolue, mais pour y aboutir, le chemin passe par une dépression profonde. Toutes les religions sont porteuses d’oppressions et des humains tuent d'autres humains à cause de leurs différences. Et cela depuis le début des temps, depuis que l'humain est humain. En principe, les religions ont été mises en place pour rapprocher les êtres humains, mais apparemment tout comme n'importe quelle belle idée, nous finissons toujours par la transformer en un produit de consommation qui finit par nous tuer.
La séparation entre la religion et l'état civil est le premier pas vers une certaine paix interne. 

Que veut dire pour vous être Druze? Le titre à lui seul évoque un ‘pays’ et non pas une ‘communauté religieuse’. Qu’entendez-vous par ‘Unitariens Druzes’ ?
L'appellation Druze n'apparaît dans aucune référence liée à cette communauté avant le XIVe siècle. Dans les épîtres de la sagesse et dans d’autres manuscrits anciens liés à cette philosophie, on parle des Unitariens, de l'unicité, de l'être unique. 
Comme il est mentionné dans l'introduction de mon livre, le nom Druze a été imposé, il fait référence à Nachtakin El Darazi, une sorte de prophète apparu au Xe siècle, d'origine turkmène, ayant servi comme propagateur dans le Wadi Taym de l'appel à l'unicité, lancé au Caire par le Calife Fatimide El Hakem Bi Amer Ellah, initiateur d’une réforme dans l’islam. Le mot qui doit être utilisé pour désigner cette communauté est « Unitarien ». Il y a eu plusieurs efforts pour corriger cette appellation jusqu'à récemment, mais il est impossible d'effacer l'histoire pour des raisons politiques. Alors le mot ‘Unitarien’ a été rajouté à Druze, comme compromis.

Vous indiquez une volonté de ‘poursuivre un travail de recherche entrepris au préalable par votre mère’. Est-ce une manière de lui rendre hommage et de faire votre deuil ?
Pour faire face à ma crise d'appartenance, j’ai interrogé, depuis mon enfance ma mère, poète et intellectuelle. Mais elle n’arrivait pas à m'expliquer ce que c'est qu’être Druze. D'ailleurs, peu d'adeptes de cette communauté assez laïque peuvent encore aujourd'hui expliquer ce que représente cette philosophie de l'existence. Même les plus sages des initiés pensent que la plupart des êtres humains ne sont pas encore prêts pour apprendre la vérité sur cette croyance laïque. Alors ils préfèrent la garder encore au secret, le temps de sortir du chaos dans lequel nous sombrons. Mais aujourd'hui, à l’ère du numérique, aucun secret ne tient vraiment la route. C’est ce que j’ai voulu dire dans ce récit romancé qui est aussi une manière de rendre hommage aux efforts qu’a faits ma mère pour comprendre la pensée unitarienne.
Par ailleurs, l’écriture de cette histoire a été déclenchée par le fait de ne pas avoir pu réaliser le souhait de ma mère d'être incinérée. Un autre facteur a aussi provoqué la mise en œuvre de cet ouvrage, c’est le mariage de Amal Alameddine de George Clooney. 
Ce livre vient en continuité de mes livres précédents et surtout donne suite au récit que j’ai écrit dans « Beyrouth Mutations ». À la différence de mes autres ouvrages, il ne contient aucune photographie autre que celle de la couverture. C’est un choix pour pousser le public à lire le texte, afin de convoquer les images.

‘Voyage en pays Druze’, Editions Erick Bonnier 
 

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