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Le petit homme aux allumettes

23/12/2016|Nicole V.Hamouche

Il lui dit qu’il était triste à cause de ‘La petite fille aux allumettes’ ; il n’était pas petit celui qui disait cela ; mais il aimait parler avec des métaphores. Il était même grand, mastoc. Tellement, qu’il en redevenait presque petit ; violent, enfant. Comme les enfants, il se racontait des histoires, et il en racontait. Beaucoup étaient symboliques. Comme ce conte de fin d’années qui n’en est pas un puisque sa fin est triste, très triste.

Le conte d’Andersen narre l'histoire d'une fillette aux longs cheveux blonds, démunie, malmenée par un père violent et des passants à qui elle cherche à vendre des allumettes et qui ne la voient même pas ; préoccupés par leur propre personne et par les festivités de la Saint Sylvestre. À la fin de la journée, épuisée et grelottante mais n'osant rentrer à la maison, elle se blottit dans une encoignure et essaie de se réchauffer en craquant des allumettes. Les flammes la transportent alors dans des visions ineffables qui l’émerveillent et lui font oublier la froidure. La dernière vision, celle de sa grand-mère aimée à laquelle l’unissait un lien fort, l’enveloppe. Mais les allumettes se consument et la fillette est retrouvée sur le trottoir au petit matin, morte, bleuie de froid. Elle est partie retrouver sa grand-mère. 

L’interprétation peu classique de cette fable, par la psychanalyste américaine Clarissa Pinkola, dans ‘Femmes qui courent avec les loups’, est qu’à force de fuir dans le feu de l’allumette et des fantasmes, la fillette déserte la réalité, la vie ; l’agir. La petite marchande craque une allumette pour imaginer un poêle, elle craque une deuxième allumette pour voire une table de repas de fête, une autre encore pour imaginer un sapin ; encore une allumette pour imaginer un peu de chaleur et de lumière. Comme nous autres Libanais qui nous étourdissons dans la fête ; première allumette ; deuxième allumette, l’élection d’un président ; troisième allumette, les sept cent mille Libanais attendus durant les fêtes ; une autre allumette, les marchés de Noël; une allumette encore un projet immobilier de plusieurs centaines de millions dollars ; encore une, les déclarations d’intention…

On a chaud au cœur ou au corps pendant un moment ; l’éblouissement de ces petits feux. Consommer, consumer. Et puis les feux de la fête s’éteignent. Et on n’en a plus assez, des allumettes pour entretenir le mirage.

Parce que comme la petite fille, on n’a pas réalisé que les étincelles, si elles font rêver ne suffisent pas à entretenir le brasero, nécessaire lieu d’humanisation depuis la nuit des temps - les hommes ont toujours eu besoin de se retrouver, autour du feu. Parce que comme elle, on ne sait plus qu’il est tout à fait légitime d’aspirer à ce feu ; qu’il est tout à fait légitime de formuler par moments, des demandes claires : le courant, le ramassage des poubelles, une sécurité sociale, une retraite. En gros, un minimum d’attention, de soin. A fortiori lorsque, comme la petite marchande, on fait don de la lumière - elle bradait ses allumettes. Comme elle, notre société fait don de la lumière a tous les démunis, les délaissés, les refugiés, les blessés qu’elle croise sur son passage. Elle ne sait pas ou elle sait qu’en dépit de toute sa générosité, elle ne peut pas suppléer à un Etat de droit. Qu’il est légitime de réclamer celui-ci et tout ce qui va avec, y compris dans la société du non dit et de l’image ie la nôtre. 

Y a-t-il du mal à demander quand bien même ‘‘toute demande (serait) demande d’amour’’ et qu’il n’est pas de mode de parler d’amour ? Demander de la reliance, au temps de l’amour court et de la dé-liance, une aberration ? Qui a jamais dit que les masses avaient raison ? Dans re-liance, il y a confiance et recommencement du lien et Noël est bien la fête de l’amour ; non pas celui des étincelles, plutôt celui du feu qui crépite ; du feu nourri, fiable. Noël est la fête en rouge ; couleur de la vie, chaude, de la créativité. Il n y a pas de mal à demander la vie même si l’on s’est plutôt habitué à flirter avec la mort et que l’on a fini par trouver ca excitant. On n’ose même plus demander, sous peine de faire l’objet de mille substantifs ; on étouffe notre voix et on craque des allumettes ; car on a fini par intégrer ce discours petit, défensif, de rationnement, de temps de guerre. Discours de survie. Limitant. Ou alors, on tourne le dos et on s’en va. Dans les deux cas, c’est renoncer a cette énergie créatrice, notre réel ‘pouvoir sur le monde’. ‘‘Si nous ne dépassons pas l’étape de la survie, nous nous limitons. Nous n’utilisons que la moitié de notre énergie, de notre pouvoir sur le monde’’. écrit la même Clarissa Pinkola Estes. 

Noël est la fête de la nativité, de l’énergie créatrice, de ce ‘’pouvoir sur le monde’’ ; pas celle de la survie.‘’Lève-toi et marche’’ dira ce même enfant de Noël quand il deviendra grand ; auparavant, il aura été accueilli par des Rois mages, des moutons, des bergers ; par une crèche bienveillante et nourrissante. Ce n’est que plus tard, fort de cette confiance, qu’il triomphera dans la solitude assumée du pouvoir de l’amour. Croire et s’abandonner ; c’est un peu ça aussi Noël. Petit homme aux allumettes, veux-tu essayer de croire ?
 

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