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May Menassa, écrivaine et critique littéraire

14/12/2016|Gisèle Kayata Eid

 

L’Agenda Culturel va à la rencontre de personnalités du monde culturel dont certains travaillent loin des projecteurs. Nous souhaitons rendre hommage à ces femmes et à ces hommes en témoignage de reconnaissance pour leur engagement dans la vie culturelle libanaise et pour leur contribution continue à son développement.


 

S’il y avait une icône qui représente la culture se serait bien elle. Discrète, mais bougrement présente, sa plume décortique et évalue toutes sortes de manifestations culturelles au pays. Comment évalue-t-elle l’ensemble de la
culture ? 

Lire, écrire, s’informer, rapporter, commenter, May Menassa est un maillon fort de la culture au Liban. Au petit écran, ses fossettes et sa grâce ont séduit les spectateurs, en 1959. Depuis, ce sont tous les lecteurs du quotidien An-Nahar qui sont restés sous le charme de sa plume. Depuis que feu Ghassan Tuéni lui demanda de s’occuper de la page culturelle. 

La culture c’est son travail, son dada, sa vie, sa passion. 
Mais la culture c’est quoi ? C’est lire. ‘‘Je suis née dans une maison où il n’y avait pas de jouets, mais des livres. Mon père nous racontait des passages des grands classiques et ma mère nous lisait Gibran Khalil Gibran. La culture, aussi bien que les arts, proviennent de la même nature : la terre qui est à la base de tout - les saveurs, les odeurs, les couleurs… C’est ce qui va sécréter des poètes, des musiciens, des peintres. La culture nous sort de nos complexes, de la timidité, de nos hésitations. C’est un enrichissement spirituel, humain, social et intellectuel’’.

Celle à qui l’on doit treize ouvrages s’enflamme aussitôt. ‘‘La population libanaise n’est pas plus ou moins cultivée que d’autres. C’est comme la terre, il y a des esprits en friches comme il y a des terres en friches. Les voyages sont une école, ainsi que les diplômes ou la production d’œuvre. Mais pour se cultiver, il faut de la curiosité, de la connaissance, de la passion. Il faut surtout lire. Sinon, on est dans le néant. Il faut travailler pour ça. Les festivals abondent, les expositions sont nombreuses, mais il faut se cultiver par soi-même pour pouvoir apprécier, comprendre les messages. Tous les jours, on peut apprendre et c’est cette démarche qui nous cultive. C’est mettre en réflexion tout ce que l’on a vu ou expérimenté’’.

Celle qui est arrivée sous le bras avec son dernier manuscrit à corriger, s’insurge contre tous ceux qui ne lisent pas, ‘‘même les riches n’achètent pas de livres’’ . Actuellement ce qui détruit la culture, c’est le téléphone intelligent. Il est à la fois magique et pernicieux. Elle prend le sien et me dit : ‘‘Ça, c’est la cause de tout le mal. Les gens sont à l’aise comme ils sont et ne pensent pas à se cultiver. Si la lecture est une passion pour moi, pour d’autres c’est une punition. Mes petites filles ne lisent absolument pas. J’ai tout fait pour planter cette graine, la cultiver chez elles. Tout allait, jusqu’à ce Smartphone…’’

Douloureusement concernée par l’était déplorable de la situation, elle reconnaît par ailleurs la grande notoriété des artistes libanais et cite avec fierté des noms de musiciens, d’hommes de théâtre, d’écrivains, de peintres qui ont fait la gloire du Liban et d’ajouter : ‘‘Actuellement, il y a une renaissance magnifique. Beaucoup de travail est fait. Il y a beaucoup de bons, de moins bons, mais jamais de médiocres. Mais il n’y a pas assez de pub et malheureusement, depuis la guerre on n’a plus d’État. On a une bande de politiciens qui profitent de l’État, sans se soucier de la culture. Or on a besoin de subventions pour ouvrir des bibliothèques, pour soutenir l’art, décerner des prix aux plus méritants, imposer des émissions obligatoires sur les chaînes télé… Ce qui manque au pays, ce sont des écoles, des professeurs qui ont le souci de former des individus. Mais le peuple est fatigué, spolié, volé, il ne veut plus être éduqué, il veut juste avoir un diplôme pour travailler’’.

Inquiète quant à l’avenir du pays, elle avoue. ‘‘Je suis énormément pessimiste. Je n’ai plus aucun souffle d’espoir. Si les choses peuvent s’améliorer dans un certain avenir, pour moi mes perspectives sont limitées’’. 

Y aurait-il alors un espoir du côté de l’étranger alors ? ‘‘Le Liban a une âme. C’est le terreau qui fait l’humain. Tout est don et nous avons tout détruit. Ailleurs, tout est artificiel. On est noyé. La diaspora est occupée par son quotidien ou par les repas que ses membres organisent entre eux. Et ici, il n’y a pas de relève pour le moment. Le mécénat ne peut pas remplir le rôle de l’État, il ne peut pas créer un monde. Les médias sont tièdes, n’ont pas de passion, personne ne veut piocher, les gens veulent partir. Il faut planter des cèdres et pas des fleurs saisonnières qui embaument pour un laps de temps puis meurent et tout est terminé’’.

Pourtant, elle continue à servir la culture : ‘‘Il est vrai que je suis pessimiste, mais c’est aussi une grande liberté de l’être. C’est dans la noirceur qu’on voit la vérité. Je ne rêve plus, je n’attends plus et je n’espère plus et cela me libère. Je suis révoltée, en colère, obligée de me retrouver à vivre dans ce pays qui nous mène à la tragédie grecque. Je n’optimise pas sur d’autres pays. Je suis là, mais j’ai une mission : celle d’envoyer ma voix en rapportant ce que les gens font de bien… Pour que Ghassan Tuéni ne meure pas deux fois’’. 
 

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