Harpiste de renommée internationale, Xavier De Maistre, 45 ans, bel homme et des doigts incroyablement agiles sur les cordes de la harpe a donné le 10 décembre un superbe concert à Saint Maron dans le cadre du Festival Beirut Chants. Il était accompagné de Lucero Tena une légende espagnole du Flamenco qui s’est reconvertie en soliste sur Castagnette. Au programme de cette soirée qui a fait salle archi- comble, les grands compositeurs espagnols : Mateo Pérez de Albéniz, Isaac Albénis, Antonio Soler, Enrique Granados, Manuel de Falla. Le public était sous le charme de cette harmonieuse ‘Serenata Espanola’. Rencontre avec Xavier De Maistre à l’Hôtel le Gray.
Vous êtes reconnu comme le meilleur harpiste au monde. Qu’est ce qui explique ce grand succès ?
C’est sans doute dû en premier lieu, au fait que j'essaye de casser un petit peu l'image et les préjugés qu'on peut avoir concernant cet instrument. C'est vrai que la harpe a des sons très cristallins et diaphanes, mais elle peut avoir aussi quelque chose de beaucoup plus expressif, de très marquant et rythmé. Dans mon jeu, je cherche à donner à la harpe une palette sonore comme si j'avais un orchestre complet et de varier les couleurs et les timbres. Je pense que cela a fait la différence et impressionne l’auditoire. Simultanément je fais une grande recherche au niveau des projets. Car en tant qu’ harpistes nous sommes face à un problème majeur : l’absence de morceaux pour harpe chez les grands classiques dont Beethoven, Brahms, Tchaïkovski. J’ai dû donc faire des adaptations pour harpe, et j'essaye continuellement de me renouveler à travers des projets originaux comme celui que nous avons présenté lundi soir 10 décembre à l’église Saint Maron. C’est une première inédite que de combiner la harpe avec les castagnettes sur un répertoire espagnol.
Est-ce vrai qu'à l'âge de 9 ans vous êtes tombé amoureux de la belle musicienne qui vous enseignait la harpe et c'est ce qui a déterminé votre vocation de harpiste.
Oui, c'est vrai ! Parler de tomber amoureux, c'est peut- être un peu exagéré. Mais lorsque j’ai rencontré la professeure j'étais sous son charme et j’ai voulu suivre les cours de musique avec l'instrument qu'elle enseignait. C’est pour elle que j'ai commencé la harpe. Cette personne reste quelqu'un de très important pour moi puisque c'est la marraine de ma fille et je suis en contact avec elle presque tous les jours.
Mais pourquoi cet intérêt exclusif pour la harpe ?
Il y a eu deux choses : tout d'abord la rencontre avec la professeure, puis aussi le fait que je voulais sortir des sentiers battus, ne pas jouer du piano, ou du violon comme tout le monde, mais faire quelque chose de plus original ce qui est le cas de la harpe. Puis cet instrument correspond à mon tempérament et à mon caractère. Je suis quelqu'un de très indépendant qui aime réaliser ses propres projets. Le harpiste peu se joindre à un orchestre ou donner des concerts en soliste et conserve toujours son indépendance.
Le fait que la harpe a été longtemps perçue comme un instrument musical joué surtout par les femmes ne vous a pas découragé ?
C'est vrai qu'au départ j’ai eu quelques hésitations, mais j'étais tellement comblé par les sons de cet instrument que j’ai passé outre le fait qu’il est pratique à 95% par des femmes. Et puis il y a toujours eu de grands harpistes. Il ne faut non plus oublier que les célèbres artistes virtuoses des siècles passés ont toujours été des hommes.
Cette passion que vous avez pour la harpe vous incite à mener campagne pour faire mieux connaître et aimer cet instrument. Les gens ne s’y intéressent peut être pas assez ?
Aujourd’hui les gens s'y intéressent de plus en plus. Quand j'ai commencé à développer mon activité de soliste il y a dix ans, les grandes maisons de disques considéraient qu’un album de harpe avait peu de chances d’être vendu. Idem pour les agences. Actuellement j'ai enregistré sept disques pour Sony, classés parmi les meilleures ventes avec des contrats renouvelés, et les plus grandes agences veulent travailler pour moi. Je pense qu’une vraie dynamique s’est instaurée que je n'aurai jamais pu espérer à mes débuts. J'ai plein de projets très porteurs qui me motivent et des portes ont été ouvertes. Je vais pouvoir du coup créer de nouvelles voies, inciter des compositeurs à écrire pour la harpe, c’est mon but pour les prochaines années. J’ai créé il y a deux ans un concerto pour harpe avec Kaija Sariaaho une compositrice finlandaise, très connue. J’ai déjà joué ce concerto avec une douzaine d'orchestres et je vais le jouer prochainement avec l'orchestre de Los Angeles. Ces projets dépassent ma personne et s’inscrivent dans la durée et pour la postérité afin que la harpe s'impose comme un instrument solo à part entière.
Comment intéresser les gens à la harpe ?
Il faut venir et écouter. Cela peut paraître arrogant mais personne ne reste indifférent, même sur enregistrement on sent la puissance et la variété de cet instrument. Les gens sortent ravis d'un concert de harpe. Il faut faire l'expérience.
Vous avez joué avec de multiples orchestres et vous donnez des concerts en solo. Que préférez-vous ?
Ce sont deux choses différentes. Jouer avec un orchestre permet de se produire dans des salles plus grandes et devant un vaste public qui n'est pas encore acquis à votre cause. Les gens viennent pour l’orchestre et découvrent la harpe. Pour moi ceci est très important. Il y a toujours eu des festivals pour harpe mais je n'ai jamais voulu participer à ce genre d'événements, car on reste dans un monde fermé. Je veux toucher un public extérieur qui ne connaît pas encore cet instrument, ou qui a priori ne s'y intéresse pas. Jouer avec l'orchestre, permet aussi d'avoir un vaste répertoire et les ventes des disques qui suivent témoignent de l’intérêt suscité. Pour moi, c'est un signe très fort. Je joue aussi comme soliste bien sûr, mais en ce moment je favorise les grands orchestres.
Vous avez fait de multiples transcriptions pour harpe à partir d'œuvres de grands compositeurs tels Debussy, Hayden, Mozart. Avez-vous des préférences ?
D'abord, je suis toujours très prudent au niveau des transcriptions, car il y a beaucoup de choses qui sont possibles mais qui à mon avis ne sont pas intéressantes. On peut les jouer mais ça ne va pas être aussi bien que la version originale. Je suis critique avec moi-même et il m’arrive de commencer des transcriptions et de les abandonner en réalisant qu’ils ne seront pas fidèles à l'œuvre. Il faut tenir compte de la couleur particulière de la harpe et je suis toujours à la cherche de nouvelles possibilités. Mais il ne faut pas que ce soit seulement une prouesse technique, il faut aussi qu'on s'y retrouve sur le plan musical. Parmi les grands classiques j'aime Brahms. C’est peut être mon compositeur préféré.
Brahms, un romantique ! Vous l’êtes aussi ?
Oui ! J’aime aussi la musique du 20eme siècle : Bartók Prokofiev, Chostakovitch….
Comment se fait-il qu'il n'y ait pas eu au fil de siècles beaucoup de compositions pour harpe ?
Pour plusieurs raisons: Les harpes à l'époque de Mozart n’étaient pas très fiables avec des cordes peu calibrées qui se cassaient très souvent. Je pense donc que c'était un frein pour les compositeurs. Puis le niveau technique des harpistes à l'époque, à part quelques virtuoses, était plutôt bas. Les harpes n'avaient pas un son puissant pour les intégrer à un grand orchestre. Du temps de Beethoven quand on écrivait une œuvre pour piano on savait qu'elle allait être vendue et serait jouée par des milliers de gens. Pour la harpe il y aurait eu deux ou trois personnes au plus capables de les jouer. Puis les compositeurs eux-mêmes jouaient du piano et la harpe n'était pas leur priorité.
De nos jours les instruments que nous avons ont changé. Ils ont un son fiable sur le plan technique. Néanmoins il y a toujours peu de compositeurs pour harpe car c'est un instrument bien complexe. Nous avons sept pédales et 47 cordes, et cela demande au compositeur trois fois plus de temps que d'écrire un concerto pour piano. Et eux aussi veulent vendre leurs œuvres. Pour ma part je cherche à les encourager, leur offrir mon aide. Il y a déjà de grands compositeurs qui s'affirment je travaille avec eux. Rendez-vous donc dans quelques années.
Jouer de la harpe est-il plus difficile que de jouer du piano, de la guitare, du violon ?
C'est différent de la guitare, oui. Tous les instruments ont leurs difficultés. Le violon est extrêmement complexe pour l'intonation et le vibrato. Pour les harpistes c'est un problème de coordination et de mémorisation. Les sept pédales de la harpe qui permettent de changer de tonalité, de les moduler rendent l'ensemble très complexes. Si jamais vous mettez une mauvaise pédale vous êtes complètement à côté. Oui la harpe fait partie des instruments les plus difficiles.
Vous jouez d'autres instruments ?
Non, j’ai préfère me consacrer entièrement à la harpe.
Vous voyagez beaucoup de par le monde 8 mois sur 12 pour donner des concerts y a- t-il des publics qui vous ont marqué plus que d'autres ?
Les réactions du public sont très différentes et variées. Il peut y avoir un public très enthousiaste mais qui va applaudir très court. Ou un public comme au Japon qui écoute dans un silence absolu puis témoigne ensuite d'un grand enthousiasme d'une manière réservée, mais très prolongée. En Europe centrale et en Russie il y a un peuple qui a une très grande culture musicale. Mais j'aime jouer pour des publics nouveaux comme à Abou Dhabi où il n'y avait jamais eu encore de concert de harpe et c'est agréable de faire découvrir l'instrument.
Vous avez de nombreux enregistrements à votre actif ?
J’ai déjà enregistré 12 albums les sept derniers chez Sony. Il s’agit de mes retranscriptions pour harpe de morceaux de grands compositeurs : une œuvre pour piano de Debussy, puis j'ai enchaîné sur Hayden un concerto de piano, puis tout un album sur Vivaldi et les compositeurs vénitiens, un album espagnol avec le concerto d'Aranjuez, un album slave : la Moldau de Smetana puis un concerto pour piano de Mozart. Le dernier enregistrement en date est celui en duo avec les castagnettes de Lucero Tena et une musique de grands compositeurs espagnols.
Vos projets ?
Un projet en cours de préparation autour de la musique d'Amérique du sud avec dans mes cartons un grand chanteur d'Amérique centrale.
Pour en revenir au concert donné à Beyrouth vous avez choisi de jouer de grands compositeurs espagnols, accompagné de la grande Lucero Tena. Que représente pour vous ce concert ?
La musique espagnole sonne particulièrement bien à la harpe et c’est un répertoire que j'aime beaucoup. J'avais découvert Lucero il y a trois ans. C'est une personnalité unique très attachante. J'aime être avec elle sur scène. Je pense que la combinaison de nous deux sur scène a donné quelque chose de très spécial. D’ailleurs le concept Harpe et castagnettes n'a jamais été fait auparavant. C’était mon idée. On a commencé il y a un an et demi par un enregistrement et depuis j’ai donné avec Lucero 25 concerts la saison passée et on a encore une tournée en Asie. C'est un programme dont je suis très fier.
Vous n’êtes pas à votre première visite à Beyrouth ?
C'est ma quatrième visite. J’ai donné trois concerts à Saint Maron dans le cadre de Beirut Chants et une fois à l'université Antonine. Le premier concert a été un grand succès et Beirut Chants m'a réinvité pour deux autres saisons. J’en suis très heureux. La soirée du 10 décembre, fut un véritable succès. L’église était archi pleine et cela m'a profondément touché. J’ai senti qu'il y avait une grande qualité d'écoute dès les premières notes.
Je commence à avoir au Liban des gens qui me suivent, des fans qui m'attendent et c'est toujours très agréable de pouvoir construire de si belles relations. Plein de gens sont venus me dire, - comme vous me l’avez dit vous-même-, qu’ils m’avaient déjà écouté une deux ou même trois fois. Ce fut pour moi très agréable de retrouver le public libanais d’être accueilli dès mon entrée sur scène avec cette chaleur méditerranéenne. Lucero qui était venue au Liban il y a 40 ans pour danser le flamenco était elle aussi impressionnée.
Alors on vous attend de nouveau à Beyrouth
Ce sera avec plaisir.
Consultez le programme de Beirut Chants en cliquant ici
(Photo © Jean-Baptiste Millot)
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