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Fady Jeanbart...le fidèle descendant des chantres épiques

06/03/2019|Alain E. Andrea


Il est vrai que la suprématie de l’opéra n’a plus cours comme autrefois mais l’histoire de cet art lyrique est loin d’être finie. C’est grâce à des chanteurs passionnés de cette musique savante qu’ils défendent bec et ongle au travers de leur carrière que celle-ci est en train de reprendre le rang que lui avaient donné l’Antiquité, le Moyen Âge puis les époques d’or, non seulement parmi les plaisirs mais également parmi les connaissances humaines. Fady Jeanbart, baryton professionnel, n’hésite pas à se donner cœur, âme, et cordes vocales pour cette cause. Dans un entretien à L’Agenda Culturel, il revient sur les moments marquants de sa carrière en tant que ‘serviteur de la musique’. 

Depuis le début de l’histoire de l’humanité -ou presque- la musique a toujours été omniprésente dans la vie de l’Homme et de ses ancêtres hominidés. Si son existence au Paléolithique est attestée par la découverte de la flûte en os de vautour (dans le jura Souabe en Allemagne) par l’archéologue américain Nicholas Conard qui annonce, en 2009, dans la revue Nature qu’il s’agit ‘‘sans ambigüité du plus vieil instrument de musique dans le monde’’, la voix humaine reste l’incontestable référence dont l’Homme s’est inspiré pour créer tous les autres instruments. Cette voix, ‘‘l’un des dons les plus mystérieux qui caractérisent l’Homme’’ selon Darwin, demeure l’interprète du cœur et de l’âme, l’incomparable outil de communication, l’arme infaillible de séduction massive et un indéniable moyen d’expression. Tout comme l’empreinte génétique et l’empreinte digitale, l’empreinte vocale est unique. Il suffit d'entendre deux personnes chanter pour s'en rendre compte et comprendre qu’il n’est donné qu’aux ‘descendants’ des chantres épiques d’invoquer les Muses. Le baryton ‘Martin’ Fady Jeanbart en fait partie.

Né à Khobar, il grandit en Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis dans une famille de mélomanes qui apprécient la musique classique et l’opéra. A treize ans, la découverte de la voix infrangible de la soprano australienne Joan Sutherland dans Faust de Gounod, dans un CD offert par son oncle, bouleverse le cours de sa vie : ‘‘Ca a été la grande révélation, j’ai compris que c’est ce que j’aimerais faire dans ma vie’’. Après, c’est la chance qui a fait en sorte qu’il a pu rentrer en contact avec la célèbre cantatrice qui lui a donné des « conseils judicieux » mais surtout de la motivation pour pouvoir poursuivre son rêve qui le démange, dans un pays où ‘‘malheureusement il n’y avait pas un accès facile à l’éducation musicale’’. Il décide alors de revenir au Liban pour découvrir la splendeur de son pays d’origine et profiter en même temps des enseignements musicaux disponibles entre autres au Conservatoire National Supérieur de Musique tout en poursuivant ses études d’économie à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Durant son séjour au Liban, le jeune baryton se rend compte que pour réussir à faire perdurer son don, il n’y a aucun autre moyen que de prendre le premier avion direction l’Europe car selon lui, ‘‘la musique classique n’a jamais été et ne fera jamais partie de la culture locale libanaise. Quoiqu’il arrive, ca restera toujours un emprunt’’. Incarnant la célèbre citation d’André Gide ‘‘L'homme ne peut découvrir de nouveaux océans que s'il a le courage de perdre de vue le rivage’’, Jeanbart quitte son nid et prend son envol vers un destin nouveau car comme il ne cesse de répéter ‘‘on ne vit qu’une seule fois, on ne vit pas pour les autres mais pour soi’’. En France, la vie lui apprend que pour arriver au sommet, il faut ‘‘travailler et travailler et travailler’’ : c’est avec Philipe Levy au conservatoire Saint-Germain-en-Laye qu’il prend ses premiers cours et obtient, quelques années plus tard, son prix de chant avant de rejoindre, à Pantin, la classe de Jean-Louis Dumoulin et de Blandine de Saint Sauveur. Il participe également à de nombreuses masterclasses dans lesquelles il peaufine son talent auprès de l’italienne Giovanna Canetti, les allemands Andreas Sommerfeld et Günther Leib ainsi que l’américain Jeff Cohen. Alliant l’exigence artistique à l’élégance discrète il obtient avec brio, en 2003, son troisième prix de chant, niveau supérieur au concours Léopold Bellan. Et le voilà prêt à gravir les échelons supérieurs menant au sommet de son art.

Triomphant dans le répertoire d’opérettes et d’oratorios, il réussit à se hisser au rang des interprètes professionnels et à siéger sur le trône du premier chanteur d’opéra libanais à avoir chanté en Égypte. Le baryton franco-libanais se produit un peu partout à Paris comme au Liban : au théâtre du Tambour Royal, à la Cathédrale américaine, au théâtre Mogador mais aussi à l’Assembly Hall de l’AUB, au théâtre Abou Khater de l’USJ, au festival de Byblos et à la résidence des pins. Par ailleurs, il travaille avec une panoplie d’artistes libanais dont le grand pianiste franco-libanais Henri Goraieb, le chef d’orchestre Joe Daou qui dirige le Barock Ensemble, Elie Sfeir du Centre Culturel de Ajaltoun, les sopranos Samar Salamé, Nadine Nassar et Lara Jokhadar. Très reconnaissant envers Goraieb, la grande légende du piano, il lui adresse, avec grande émotion ses remerciements les plus chaleureux : « J’ai eu la grande chance de découvrir un grand monstre sacré mais le temps nous a fait défaut. J’aurais aimé faire sa connaissance à mes débuts en France, quand je venais d’arriver tout jeune idiot que j’étais à Paris, croyant que le monde m’attendait. Je me suis rendu compte, après, que personne n’attend personne et que le train avance à grande vitesse ». En outre, Jeanbart estime qu’il existe de très bons musiciens au Liban qui n’espèrent qu’avoir une plateforme dans laquelle ils pourront évoluer et s’exprimer car, selon lui, ‘‘on n’évolue qu’en s’exposant au public mais malheureusement les parents de ces jeunes n’ont pas le compte en banque pour acheter un public (...) mais bon il faut de tout pour faire un monde et le temps dira’’. Membre du syndicat des artistes professionnels au Liban, il souligne avec fermeté que c’est une grande responsabilité de dire ‘‘qui nous représente et de qui nous sommes fiers car les européens nous écoutent, nous ne pouvons pas venir nous moquer d’eux dans leur culture et dans leur musique’’. Et d’ajouter : ‘‘C’est bien de louer des salles pour chanter en concert mais la force d’un artiste n’est pas de louer ces théâtres mais plutôt d’être invité et payé par ces derniers pour monter sur scène’’. Le baryton poursuit en s’adressant au public libanais : ‘‘Posez-vous la question : combien de ces musiciens libanais seraient engagés et auraient un travail rémunéré à l’étranger en passant par une audition normale ?’’

Finalement, Fady Jeanbart, le professeur de chant à l’Académie Elias Rahbani, à l’Ecole des Arts Ghassan Yammine et l’Université Notre Dame de Louaizé, partage avec les jeunes chanteurs en herbe le conseil que Dame Joan Sutherland lui a, un jour, donné : ‘‘Ne pas aller trop vite !’’ et conclut : ‘‘Ce qui fait la beauté du chant c’est qu’il s’agit d’un art imparfaitement parfait. Il faut essayer de rester humble et de respecter la musique, l’art lyrique et ces 400 ans d’histoire derrière nous. Qui sommes-nous donc ? Rien autre qu’un maillon de cette chaine’’.
 

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