Immense fresque entre sacré et profane, la Missa Solemnis de Beethoven (1824) fait appel à des forces instrumentales, vocales ou chorales hors du commun. Yasmina Sabbah, à la tête du chœur de l’USJ et de l’orchestre des Jeunesses musicales du Liban s’empare de cette œuvre avec brio et réussit à susciter une tension constante tout en sachant, quand il le faut, créer des espaces de respiration.

Car ce soir-là, le 5 juillet, à l’Assembly Hall, le public a le sentiment d’assister à un frémissant et passionnel opéra liturgique. Lequel, dès les Kyrie et Gloria initiaux (impact et tempo fulgurant du Cum Sancto Spiritu, couronné d’un Amen en coup de tonnerre), confirme le rôle premier du chœur, ici d’une fervente homogénéité de ton et d’intention.
Le Credo déplace la balance entre solistes et chœur, attestant que le même Beethoven ne chante pas autrement, dans Fidelio, la liberté et l’amour sublimé. Si toute la fin du Credo appartient également au chœur, les solistes (Benedicte Tauran, soprano, Sofia Pavone, mezzo-soprano, Bechara Moufarrej, ténor, Alexandru Constantin, baryton, font une apparition fort remarquée sur l’Amen final en tant que vrai quatuor d’un parfait équilibre :

Le Sanctus fait la part belle d’abord aux solistes (Beethoven ne leur fait aucune concession, traitant chaque voix tel un instrument, sans se soucier des aspérités de registres qui conduisent à des difficultés techniques redoutables) puis au chœur dynamique, vertigineux tempo fugato à haut risque de l’Hosanna , résolument assumé.
Le superbe solo de violon introduisant le Benedictus est non moins idéalement « chanté » par Mario Rahi dont la sonorité pleine et lyrique s’élève avec aisance et plasticité, la beauté du timbre offrant le plus noble des accompagnements au chœur puis aux solistes, dans un moment d’imbrication des voix parmi les plus complexes et tendus de l’œuvre tout entière.
L’éloquent Agnus Dei conclusif vaut aux solistes des moments d’intense jubilation spirituelle alors que l’orchestre, d’une maturité et d’une unité assurées, arbore une texture brillamment ciselée et rehaussée d’un chaleureux dialogue des pupitres sous la direction inspirée de Yasmina Sabbah.

Monument inclassable et sans équivalent du répertoire de musique sacrée, la Missa solemnis est aussi une œuvre formidablement captivante, et bouleversante : les musiciens de cette soirée à marquer d’une pierre blanche, galvanisés par Yasmina Sabbah, en font, de manière jubilatoire, la vive démonstration.
L’architecture grandiose de la Missa Solemnis de Beethoven (1819-1823) requiert des interprètes de premier plan, afin de servir une œuvre à la fois contemplative et d’une puissance peu commune dans laquelle le compositeur s’est engagé corps et âme. Jubilation spirituelle et humanité rayonnante sont les maîtres mots de cette soirée inoubliable.

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