Chapeau de roses, paillettes, acrobaties, robe enflammée mais aussi robe masquée, oripeau en jean, perruques volantes, juste au corps bleu satin, talons multicolores, traines de plusieurs mètres de long etc. voici en quelques mots ce qui a charmé voir complètement hypnotisé l’audience de Projekt à l’occasion de la quatrième édition du Grand Ball de Beyrouth. 

Si cet événement devait être expliqué à celles et ceux qui en sont inconnus alors on pourrait le décrire comme étant le rendez-vous donné à l’ensemble des drag queens du Liban. Venu(e)s de tout le pays et même pour certain(e)s de Jordanie, inconnu(e)s ou célèbres, professionnel(le)s ou amateur(ice)s, qu’importe ! Quarante et une personnalités envoutantes sont venues embrasser avec charisme les mots d’ordres ; originalité́, élégance, talent et liberté. 

C’était le dimanche 13 mars dans la boîte de nuit Projekt que nous avions rendez-vous pour célébrer la culture drag du Liban. Après avoir fait la queue dans les escaliers bondés de l’immeuble mythique du quartier Jal el Dib, nous avons enfin pu goûter à ce que beaucoup ont attendu avec impatience depuis deux longues années. 

D’abord frappé par la pandémie puis par la tragédie humaine de l’explosion du port et dorénavant par une crise économique sans précédent, rien n’épargne le Liban. Et pourtant après deux années d’absence le Grand Ball est revenu avec une force qui a tout anéanti sur son passage. 

L’un des cerveaux qui a permis la mise en place de cet événement si unique en son genre c’est celui que l’on ne présente plus à la vue de sa réputation sans précédent ; Hoedy Saad!
Vétérinaire de jour, drag de nuit, il était ce soir paré d’une robe bleue dont l’élégance unique laissait entrevoir le goût certain dont il jouit lorsqu’il est question de rendre hommage au monde de la nuit. L’un des spectateurs rigole ; “heureusement qu’il ne défile pas. Il volerait totalement le podium. ” 

Habité par une énergie envoutante Hoedy ouvre le bal annuel par une présentation qui rappelle les règles et les valeurs à respecter; “Depuis deux ans, nous sommes les témoins de l’appauvrissement des endroits dits “safe” pour notre communauté. Il en va de notre responsabilité́ de protéger ces derniers endroits en les honorant et surtout en les faisant vivre et revivre.” 

Dès lors, une seule règle est à respecter ; celle qui implique de ne pas prendre de photos. Alors que la sécurité́ a pris soin de placer un autocollant sur la totalité́ des objectifs des téléphones portables, personne n’est autorisé à, numériquement parlant, immortaliser la soirée. Il en va de la sécurité de l’ensemble des personnes présentes dans la salle. Une manière de conserver l’anonymat de certain(e)s pour qui la vie nocturne demeure être un secret bien gardé. Pour ce qui est du reste des règles ; “Soyez fulgurant(e)s, soyez vous-mêmes ou ce que vous souhaitez être ce soir et surtout soyez libres !” 

Drag ou non, tout le monde peut monter sur scène pour briller le temps de quelques minutes. Scruté(e)s par les artistes se trouvant sur les balcons ainsi que par le public exalté, les candidat(e)s seront noté(e)s sur 10 par le jury. Ce dernier, composé de Samer Khouzami, Sandra Melhem, Lary Bs mais également Tarek Moukaddem, nommeront, à l’issu de la fin de la soirée, la meilleure drag queen. 

Après avoir annoncé l’ordre des différentes catégories qui défileront jusqu’à minuit, il est grand temps d’impressionner la foule ; la soirée peut enfin commencer ! 

L’atmosphère est comme suspendue dans le temps. Effectivement, les défilés s’enchaînent, les artistes se déchaînent mais l’ambiance électrique demeure. La foule ne cesse d’applaudir et d’acclamer les performances plus extravagantes les unes des autres. Quand certain(e)s voguent, d’autres concentrent leurs efforts et leurs énergies sur des chorégraphies répétées avec religion. 

De Édith Piaf, à Céline Dion en passant par la mythique Majida El Roumi, chaque individu apporte sur scène un univers particulier ; une personnalité artistique précieuse en somme. Grand écart, saut, danse classique mais aussi contemporaine, les chorégraphies s’enchainent avec un rythme affolant qui traduit la beauté de cet évènement. 

« Imagine ça ! On est dans un monde post apocalyptique. On se relève à peine de l’explosion, on est noyé par une crise économique, on n’a pas d’argent et pourtant regarde ! » s’exclame un spectateur totalement subjugué par la créativité des tenues et des performances ! 

En plus de la tourbillonnante créativité, un autre élément impressionne ; la prolifération de nouvelles drags et artistes dans cette communauté qui ne cesse de s’élargir. Effectivement un grandissant nombre de jeunes amateurs et amatrices talonnent les grands noms du monde drag tel que Diva, Extravaganza, Anissa Krana, Narcissa, Latiza Bombé etc. 

Pour certaines personnes, cette soirée fût l’occasion de se produire en solo pour la première fois sur une scène où toutes identités sont accueillies et célébrées ! Cette recrudescence témoigne de la réinvention ainsi que de la persévérance qui sont toutes deux à l’œuvre sur la scène drag au Liban. 

Ainsi, plus que jamais, la communauté drag a fait savoir sa vitalité et sa créativité en accordant une belle visibilité aux personnes souhaitant célébrer leurs identités. Avec sa réapparition à Beyrouth, le Grand Ball a pu dresser le portrait si unique en son genre d’une communauté qui puise sa force dans sa capacité à constamment se réinventer. Alors que l’ensemble des personnes présentes sur scène a ébloui le public, on ne peut s’empêcher de s’émouvoir face à cette radieuse énergie qui assure un futur prometteur pour cette forme d’art.