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Variations musicales sur un Nil enchanté

02/04/2023|Leila Amad Bissat

Lire les grands écrivains et romanciers d′une Égypte qui ne cesse de nous enchanter est une chose, les rencontrer en chair et en os c′est tout autre chose, cela a une autre saveur.

 

Et c′est ainsi que notre club du livre, “Nadwat al thoulatha”, ou “Les rencontres du mardi”, a décidé d′entamer un périple de quatre jours allant à l′encontre du Salon Culturel de New Giza, retrouver nos écrivains favoris.

Nos deux amies, Roula Kronfol et Balkis Kiblawi se sont portées volontaires pour bien orchestrer non seulement l′itinéraire bien fourni de ce voyage, mais aussi de se joindre à un des plus actifs clubs de lecture au Caire, comparer nos notes, discuter de différentes opinions et de se remémorer les leçons que l′histoire nous a laissées. Une première dans les annales des clubs du livre et qui pourrait engendrer d′autres initiatives avec d′autres pays arabes.

 

Dès l′arrivée à l′aéroport du Caire, et malgré les embouteillages monstres, les Salam et Ahlan et Nawartou Misr fusionnent de toute part dessinant sur nos lèvres des sourires réconfortants et à nous de répliquer : Minawera bi ahliha et de retrouver une Égypte familière à travers tant de films, de comédies, de chansons et de visites, une Égypte éternelle mais souriante et bienveillante malgré toutes les difficultés qui l′accablent aujourd′hui. L′ouverture s′est faite avec “forte” direct au restaurant “ Zoubaa” connu pour sa street food. Dans un petit réduit, au décor bleu nil charmant malgré son étroitesse, nous nous sommes vite attablées autour d′un succulent petit déjeuner à l′égyptienne : foul medammes sous toutes ses formes, ta3mieh ou falafel, koshari, mélange de riz, pâtes, fèves, haricots, lentilles, pois chiches et nid d’ange, le tout arrosé d’une sauce tomate à la harissa !  Et sans oublier les sandwiches aux œufs durs et multiples accompagnements qui ajoutent à cette table conviviale, les couleurs d′un Caire chaleureux. Tout cela arrosé de thé à la menthe, thé fumant couleur ambre, ni vert ni blanc ni aux arômes...

 

Un simple retour aux sources ! Et le sourire bienveillant d′un personnel qui se plie à tous les désirs d′une clientèle quoique peu exigeante, mais “Ahl Loubnan sont la prunelle de nos yeux !” comment ne pas succomber !

Allegro, on fait un tour dans Zamalek, un des plus anciens quartiers chics de la capitale, à la recherche d′un temps perdu. D′anciennes villas art déco, art nouveau, abritent désormais les ambassades, ou sont devenues le siège de fonctions gouvernementales à caractère éducatif et culturel, ainsi que nombre de boutiques artisanales qui reflètent un renouveau dans la création d′objets décoratifs, poteries faïences, cuivres et verres... 

 

Un passage obligé à la galerie Alef longtemps établie par la pionnière Naguiba Damergi, levantine de naissance et égyptienne au grand cœur. Nous sommes reçues par sa fille Loulia, qui suit les pas de sa mère, débordant de gentillesse et d′hospitalité. Là dans un décor de mille et une nuits aux teintes chatoyantes, le regard ne cesse de puiser l′inspiration entre Orient à la Turca et Occident revisité, le tout se basant sur un savoir-faire ancestral que seule une amoureuse de l′Égypte connaît et met en valeur.

 

Thé, limonade fraîche, café blanc, café noir et petites douceurs, cette pause a ravivé nos esprits pour se préparer à la rencontre tant attendue de l′écrivain Dr Oussama al Chathili.

Son roman : les feuillets de Chamoun al Masri أوراق شمعون المصري est en première liste des ventes depuis sa parution en 2021 et en est à sa 13ème édition !

 

Une saga historique, je ne vous en dirai pas plus, mais à lire absolument ! Dr al Chathili, bien que jeune docteur en médecine est d′une érudition remarquable, alliant modestie et discours calme et posé qui ne peut que vous convaincre, basé sur des données historiques. Sa rencontre nous a révélé un voyage dans le temps depuis la fuite de Moïse d’Égypte et l’errance du peuple juif dans le désert, et toutes les péripéties qui s’en suivent. Un bestseller des plus forts.

 

Cet interlude de lecture et culture nous a préparées à retrouver notre hôtel, le Mariott Omar Khayyam. Ancienne résidence royale, bâtie pour recevoir la princesse Eugénie lors de l’ouverture du Canal de Suez par l’ingénieur Ferdinand de Lesseps, les charmes de ses jardins et salons nous baignent dans une ambiance hors du temps, une quiétude avant d’entamer nos pérégrinations. 

Pour cette symphonie au Caire, deux mouvements nous ont émerveillées, deux magnifiques surprises : la visite du nouveau musée archéologique GEM ou Grand Egyptian Museum, ainsi que le Musée National de la civilisation égyptienne, deux musts, joyaux tant pour leurs architectures contemporaines épurées, que leurs intérieurs grandioses et surtout leurs contenus. 
Dans le hall central du GEM, trône la majestueuse statue de Ramsès Ⅱ, venu se reposer là, loin du brouhaha de Midane al Tahrir. Pour le moment ce n’est là qu’un soft opening qui précède une inauguration qui se fera en 2024. 
Quant au musée de la civilisation égyptienne l’inauguration s’est faite en grande pompe en 2021, avec l’arrivée au musée archéologique du Caire de 20 momies royales, grand oratorio qui inclut non seulement ces pharaons recouverts de leur linceul et leur coffre doré mais aussi tous leurs objets funéraires et autres, le récitatif de tout un règne qui a duré magistralement durant 3000 ans avant notre ère. La mise en scène de tout ce musée est une œuvre d’art qui vaut plus qu’un détour.

 

Un autre opus nous attend dans la soirée, en passant par les nouvelles villes du New Cairo. Nous rentrons dans l’enceinte d’un grand complexe urbain où nous attend illico presto notre cher “liaison officer” Karim Farhat, le chef d’orchestre de ce salon culturel qui nous a reçu si chaleureusement créant une première dans l’histoire des clubs littéraires. Là, nous sommes curieux de rencontrer la romancière Mme Rim Bassiouni, jeune écrivain qui maîtrise à la perfection l’histoire de la période fatimide et mamelouke de l’Égypte. Ses romans sont basés sur des faits et personnages historiques et nous emportent bien loin dans le temps pour faire vibrer l’imagination de tous les lecteurs avides de connaissance et de sentiments. Honneur, grandeur, misère, violence, amour, fierté, fidélité et justice. Romans fleuves de abayas, turbans, kaftans, où l’épée tranchante ne manque pas à son devoir. Un panel formé de nos membres visiteuses s’installent auprès de la jeune écrivain, simple, modeste et souriante, répondant avec bon cœur et amabilité à toutes nos questions.

 

 

Un quatrième mouvement dans notre périple cairote fut un autre passage obligé à la galerie Nagada pour la signature de mon livre « Of Whispers and Winds ». La propriétaire des lieux, la jeune désigner Silva Assilian Nasrallah, nous a reçues dans sa belle boutique emblématique où se marient les genres de abayas ethniques avec les belles faïences de Fayoum produites par son associé et designer Michel Pastore qui initie les artisans de Fayoum à revaloriser leur art ancestral. Silva a offert son lieu pour tenir cette activité où « Of Whispers and Winds » se fond si bien dans l’atmosphère ambiante. Les revenus de la vente seront versés à l’hôpital Ahl Misr qui soigne gratuitement les rescapés d’accidents de brûlure très fréquents en Égypte.

 

Les notes coulent toujours en pompe, pour un détour vers l’incontournable Khan el Khalilli. L’itinéraire fut mené avec l’aide d’un grand connaisseur du Caire fatimide, qui nous a été recommandé par nos deux auteurs favoris. Suivant les périples des héros de Rim Bassiouni, nous déambulions à travers les artères du Caire islamique en passant par d’imposantes mosquées, madrassas, sabils d’eau, hammams, mausolées, demeures anciennes, sérails, etc. Le tout rénové par de gigantesques efforts du gouvernement, de l’Unesco, la Fondation de l’Agha Khan et autres.

 

Mais avant de vous laisser, un détour ne manquerait pas à la consonance des sons, à la grande dame d’Égypte dont la voix s’étend sur plusieurs cordes, le deuxième Sphinx, le musée dédié à Oum Koulthoum. Là, dans le calme de l’île de Roda dans un écrin de charme et quiétude entouré par les eaux paisibles du Nil, loin des sentiers battus, dans une villa princière du Nilomètre, édifice islamique encore intact, siègent les objets appartenant la grande dame : tenues d’apparat, les médailles, les photos, lettres d’appréciation, partitions musicales, appareils d’enregistrement sans oublier ses fameuses lunettes noires et son mouchoir. Tout ce qui a appartenu à la Diva. Oum Koulthoum l’Unique qui a enchanté et réuni le peuple arabe tous les premiers jeudis de chaque mois du Mashrek au Maghreb. Un court métrage relatant sa vie nous a pris de court, nous obligeant à cacher nos larmes et nos émotions devant la grandeur de ce personnage hors norme, de cette voix de l’Orient Kawkab al Chark astre de passage et qui ne se répétera plus.

 

Et pour ne rien omettre, je me dois de citer deux musées d’une grande importance. Situés, à l’orée de la ville, dans une région jadis agricole la fondation Ramsis Wissa Wassef Art Center a élu domicile, dans le bourg de Harrania. Sa fille Suzanne continue ce travail de préservation du patrimoine de tissage de tapisseries représentant le quotidien des villageois, leur faune et flore. Les créations du Wassef Art Center sont présentes dans tous les grands musées, attestant de l’importance de cet art naïf qui doit se perpétuer. Juste à côté se trouve le musée de sculptures et peintures d’un autre grand nom de l’art contemporain en Égypte, Adam Henein. Un Rachana version Égypte abrite des majestueuses sculptures en plein air, tandis qu’un musée de trois étages abrite l’œuvre colossale de l’artiste de peintures et sculptures.

 

Le Caire royal a eu sa place, dans la visite du palais al Manyal, qui est témoin de la grandeur de ces princes venus du Caucase et qui ont été adoptés et vice versa par cette terre de culture et d’amalgame.

Et pour la finale, comme à l’ouverture, l’apothéose fut un déjeuner-dîner d’adieu au Caire faisant honneur à la gastronomie égyptienne dans le mythique restaurant péniche Le Pacha. Toujours amarré à la même enseigne, le restaurant oriental tenu par M. Zahra d’origine libanaise, donne ses lettres de noblesse à la Mouloukiya (Mouloukhiya au poulet) à l’okra (bemieh), au riz mo3ammar cuit au four et autres spécialités. Et pour clôturer ce festin, rien d’autre que “Oum Ali” dessert incontournable des nuits cairotes.

 

Durant le séjour, nous avons lorgné à plusieurs reprises les patates douces fumées cuites sur des charbons ardents à tout coin de rue, mais malheureusement elles n’ont pas eu de place au menu !

Comment ne pas croire au dicton qui affirme que celui qui boit l’eau du Nil retournera allegretto en Égypte ! Ce fleuve immuable continuera à nous enchanter, et si Aïda de Verdi est un opéra en quatre actes, l’épopée du Nil ne pourra que s’étendre à l’infini.

 

Ce ne sera qu’un au revoir, et à la prochaine Inshallah ! 

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