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Une femme dans la tourmente de la Grande Syrie, de Régina Sneifer

14/01/2020|Emmanuel Khoury

Au vu du caractère particulièrement polémique du Parti Social Nationaliste Syrien dans l’histoire du Liban moderne, il est fondamental de préciser d’emblée que le livre de Régina Sneifer, publié en août 2019 aux éditions Riveneuve et préfacé par Georges Corm, n’est pas un livre de partisan ni un livre de propagande, mais plutôt un ouvrage à caractère historique et savant, très documenté, qui propose d’adopter une démarche intellectuelle à contre-courant consistant à se plonger dans la philosophie politique d’un penseur controversé à un moment donné de l’Histoire d’un pays et d’une région. En l'occurrence, la pensée du fondateur du PSNS au Liban, Antoun Saadé, né en 1904 et assassiné en 1949, zaïm et martyr pour certain, traître et dangereux pour d’autres, mais malgré tout incontournable actuellement, selon l’auteur, parce que “après les échecs retentissants du nationalisme arabe, du panislamisme et des états confessionnels, rien ne peut justifier de passer sous silence la thèse d’une Grande Syrie laïque et sociale”. Et de poursuivre, plus loin dans la préface :  “Avec mon parcours au sein des Kataëb et des Forces libanaises avec mes deux précédents ouvrages dénonçant les dérives miliciennes et communautaires des dirigeants maronites : Guerres maronites (L’Harmatan, 1994) et J’ai déposé les armes (L’Atelier, 2006), je ne pouvais m’engager dans un livre consacré à un “ennemi” d’hier sans prendre le risque qu’il soit interprété comme un règlement de compte personnel ou le fruit tardif d’un retournement émotionnel. Avec mon émancipation de l’étouffante tutelle des communautés et ma liberté de pensée retrouvée, je m’étais efforcée de transformer ces faiblesse en point d’appui”. 

 

Régina Sneifer, née au Liban en 1962, ancienne militante libanaise aujourd’hui installée à Paris, s’évertue tout au long de cet ouvrage passionnant à comprendre et mettre en lumière les ressorts géopolitiques du Moyen-Orient entre les années 1909 et 1962, et ce, pour apprécier le plus justement possible le parcours d’Antoun Saadé et celui de sa femme. En ce sens, l’auteur se fait très souvent, dans ce “livre-document”, comme elle l’appelle elle-même, historienne et romancière à la fois. Pour les non-initiés quant à cette période historique, ce livre est une véritable mine d’or. Pour se faire une idée, voici, très sommairement, quelques événements couverts par l’auteur, si importants pour comprendre le Moyen-Orient d’aujourd’hui. 

 

L’histoire d’un Moyen-Orient tiraillé par le communautarisme

Tout commence par l’état de la formation des grands empires occidentaux au début du XXe siècle et le déclin de l’empire ottoman. Puis viendra la famine qui s’est abattu sur le Levant de 1915 à 1918, entraînant une vague migratoire libanaise vers divers pays du monde (tels que l’Argentine, où se rencontreront Juliette et Antoun Saadé dans les année 30 et “où la distinction entre identité libanaise et identité syrienne n’a pas encore cours”), alors que les accords de Sykes-Picot sont discrètement signés en 1917. Au même moment est en train de se concrétiser petit à petit la naissance du projet sioniste, avec son soutien par les anglais et la déclaration de Balfour en 1917 qui “viendra parachever ce processus de fragmentation du Proche-Orient par des frontières parfaitement artificielles, les portes grandes ouvertes à de futurs conflits, guerres et tragédies”, comme le rappelle Régina Sneifer. Il y aura aussi l’arrivée des français au Liban en 1918 (qui vont incarcérer Antoun Saadé en 1936), l’apparition des frères musulmans en Egypte en 1928, puis du parti des Kataëb en 1936 fondé par Pierre Gemayel (le premier à combattre le PSNS), et celui, sunnite, de Najjadeh par Adnan Hakim en 1933. 

 

L’histoire des Saadé croisera aussi celle des premières velléités de ligue arabe en 1942 auxquelles les français s'opposent, et le pacte national de 1943, qui marquera l’indépendance du Liban, signé sous la houlette du président Béchara El Khoury et du premier ministre Riad el Solh (qui “soumet sinon affaiblit l’idée nationale dans la machinerie des logiques confessionnelles” écrit Sneifer). Sans oublier les machineries des américains (avec Truman) et des français pour appuyer l’état sioniste de Ben Gourion en 1946 et affaiblir les anglais, année qui sera aussi marquée par le rejet des français en Syrie. Seront ainsi décrits dans le détail les différents coups d’états qui ont ébranlé la Syrie entre 1949 et 1951 (dont l’un d’entre eux provoquera la perte d’Antoun Saadé), et la course à l’or noir des américains qui manipulent les différents chefs d’états régionaux pour construire des pipelines. Il y aura aussi l’assassinat de Riad El Solh en 1951 par des membres du PSNS à Amman pour se venger de l’exécution de Saadé. Le tout jusqu’à l’effondrement de l’engouement pour le nassérisme au début des années 60 et jusqu’à la tentative ratée du coup d’état du PSNS en 1962.

 

Un parti pris de haine et d’amour

Mais “Une femme dans la tourmente de la Grande et Syrie” relate avant tout deux histoires d’amour enchevêtrées : l’amour de Juliette pour Antoun, le père de ses 3 enfants dont elle soutiendra passionnément la cause (jusqu’à connaître l’emprisonnement pendant 9 ans à Damas); et l’amour d’Antoun Saadé pour un idéal de philosophie politique reposant sur des bases anti confessionnelles, anti communautaires et laïques. Pour bien comprendre l’idéologie du parti, il faut d’abord se défaire des différentes actions politiques dans lesquelles il a été impliqué - et qui ont, certainement à juste titre, entaché à tout jamais l’image du parti dans la pensée collective. Oublions les dérives des différents chefs qui succéderont à Antoun Saadé, les tentatives de coup d’état, les combats, les assassinats et actes terroristes : restons sur le plan des idées à l’origine du parti. 

 

Avant tout, le PSNS est pensé par Antoun Saadé pour “lutter contre les frontières artificielles et le développement des sous-identités”. C’est donc à l’origine un parti qui prône la réconciliation des différentes communautés, au sein d’une supra-nation syrienne. Mais, créé en 1932, le parti est très vite accusé par ses détracteurs d’être un parti anti-indépendantiste, fasciste, et même nazi. Pourtant, Régina Sneifer explique que “’l’ambition d’Antoun Saadé a toujours été de fonder plus qu’un parti; plutôt une école destinée à former une nouvelle génération de jeunes avant-gardistes qui entreprendront une transformation sociale large et radicale de la nation syrienne [...]  capable de se libérer des fatalités : les influences étrangères, le confessionnalisme et le capitalisme”. En effet, Saadé s’est opposé au mandat français et au système confessionnel de la constitution de 1936. Il écrira plusieurs ouvrages de philosophie politique, donnera de nombreuses conférences, créera des journaux, sera contraint à l’exil, reviendra, puis sera exécuté au Liban, après de nombreuses tentatives d'éradication du PSNS et de multiples trahisons. 

 

 

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