« L’exposition que l’on préparait au début du mois d’août 2020 avait pour nom Hope » se remémore Noha, la directrice de la galerie d’art, dans un syllogisme cynique. Puis un retentissement, commun à tous les libanais a eu lieu, emportant dans sa trajectoire des dizaines d’oeuvres de la galerie, mais aussi la vitalité féroce qui lui emboitait le pas depuis 2012, l’année où Noha est tombée sous le charme de cette arrière-cour de la rue Youssef el Hayek dont le silence paisible relate les récits du mandat Français. Dix mois et cent acharnements plus tard, la galerie accueille sa toute première exposition en solo depuis la tragédie, celle de Sara Chaar. Une victoire aigre-douce, selon Noha. Et pour donner un sens à l’inexplicable, le fou, l’insaisissable, la fondatrice rompt aujourd’hui le cycle de la violence, pour recommencer là où tout s’est arrêté, au cœur de l’espoir.
Pour ce début de course, pas de port, de destruction ou de lien direct avec le 4 août, mais des tableaux tavelés, tailladés, violentés par le pinceau. Inspirés par l’environnement ambiant. Abstraits pour que chacun s’y retrouve. Si elle dessine depuis l’âge de ses 12 ans, l’artiste n’a pas toujours privilégié l’abstraction, mais les sentiments confus des deux dernières années ont imposé ce style à sa série débutée en décembre 2020. « J’étais comme raidie par les évènements qui s’enchainaient, puis cette frustration a été sublimée. Laisser libre cours à mes impulsions a été pour moi la façon la plus optimale de m’exprimer » explique Sara. Pour l’artiste élevée à Miami en Floride, la série est un trop plein d’émotions qu’il faut saisir comme une entité. « Je ne pense pas avoir la capacité de donner une explication plausible pour chaque détail, voire pour chaque œuvre. Je n’ai pas envie de rentrer mon travail dans des cases trop étroites pour ce qu’il est, mais plutôt de laisser l’exposition réagir avec l’âme du visiteur. Cette réaction subjective, et donc unique, est un produit du style abstrait qui me plaît particulièrement ».
Combats contre soi
Aussi loin que l’œil s’aventure, il semble y avoir toujours, des couches de couleurs qui s’entassent à l’infini sur les toiles de Sara. Ces couches, ce sont pour elle les répliques fugaces d’une conversation envenimée. Entre elle et la toile. Entre elle et son inconscient. Car ce qui se profile entre les jets de couleurs, entre la craie, l’huile ou encore le ciment, ce sont des non-dits, des discours pas révisés, des mots déformés qui jaillissent sans prévenir, sous le coup de l’impulsion. Dans ces moments où elle se joue de son identité, Sara dit « rentrer et ressortir » de la toile, comme d’un corps étranger dont elle prendrait possession avant d’en être dissociée. Un état de transe qui persiste selon elle, jusqu’à ce que le pinceau abdique. « La peinture est une guerre. Il faut savoir s’arrêter et pourtant, je suis convaincue que l’artiste qui met un terme à son oeuvre délibérément et avec satisfaction a raté quelque chose » affirme la peintre.
La poésie de la peinture réside dans ce mariage entre l’agressivité et la douceur - Sara Chaar
Sur chaque tableau, Sara crache son ire extatique, et jouit de cette opposition poétique qui lui permet d’apprivoiser son besoin instinctif d’être chaotique. Si certains de ses tableaux, tels que « Thought of insects » ou encore « I once wore your skin » dégagent une sensation d’apaisement, il suffit de s’approcher pour voir qu’entre les différents corps de couleurs s’agitent des fils électrifiés, des marques de tortures, des entailles hémophiles, qui rappellent ad nauséam que les émotions sont ces réalités imaginaires qui naissent au plus profond de l’inconscient, et déchirent l’âme pour mieux la nourrir.
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