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Midjourney pour les nuls

30/06/2023|Ella Morand

Il y a quelques semaines, on demandait à ChatGPT lui-même de nous conter ses exploits, aujourd’hui on continue à tenter de comprendre les mystères de l’intelligence artificielle (IA), et c’est au tour de Midjourney de nous révéler son fonctionnement…

 

Midjourney, c’est l’intelligence artificielle de la création d’images. C’est donc un générateur d’images permettant à n’importe qui de créer des illustrations à partir d’un texte descriptif. L’utilisateur doit donc rentrer un prompt dans le programme, c’est-à-dire un court texte sur le système du codage, décrivant l’image qu’il souhaite et permettant de guider l’intelligence artificielle. Celle-ci se base alors sur ce texte, et sur la base de données infinie que représente Internet, pour générer une image sur mesure et unique, puisque Midjourney ne produit jamais deux fois la même image.

 

D’où vient alors l’inspiration du programme ? Son fondateur David Holz, explique que Midjourney utilise toutes les données ouvertes publiées sur internet pour produire les images et entraîner le système. Midjourney représente donc une sorte de cerveau dont les références esthétiques proviennent d’une centaine de millions d’images déjà existantes sur le web. Cela entraîne évidemment des questionnements et des polémiques en ce qui concerne les droits d’auteur pour les artistes sources de ces inspirations. David Holz s’est exprimé à ce sujet : « Il n’y a pas vraiment de moyen d’obtenir cent millions d’images et de savoir d’où elles viennent ».

 

Et qui utilise donc Midjourney ? Les professionnels de la création d’images traditionnelles sont probablement les premiers visés. En effet, les agences de création et de publicité sont de plus en plus sollicitées pour utiliser cette intelligence artificielle afin de créer des campagnes de publicité moins chères et qui surfent sur la popularité actuelle de Midjourney pour faire le buzz. Cependant, on voit également les artistes s’approprier l’outil. En effet contrairement à son prédécesseur Dall-E, dont le réalisme des images était la volonté principale, Midjourney a été conçu dans le but de proposer des images esthétiques. C’est donc le style artistique qui prime et c’est pour cette raison que le programme parvient à faire son trou dans les métiers de l’art et de la création.

 

En avril dernier, Undiz dévoilait une campagne publicitaire basée sur l’intelligence artificielle. La marque innove en proposant un mélange entre shooting classique et intelligence artificielle, afin de produire des images du mannequin sous l’eau. Face à la complexité d’un shooting classique en immersion, l’intelligence artificielle s’est alors imposée comme l’outil idéal pour mener à bien ce projet. Undiz a fait appel à l’agence de création CowBoys pour réaliser la campagne grâce à Midjourney. L’agence a également effectué un réel shooting des maillots, avec des mannequins portant des combinaisons vertes, afin de pouvoir intégrer le produit aux images générées par Midjourney. Les visuels ont finalement été retouchés pour parer aux limites du programme en ce qui concerne la netteté de certains détails, notamment le regard, les mains ou le visage.

 

Nous avons rencontré Esther Kintgen, directrice artistique chez CowBoys, qui a répondu à toutes nos questions pour mieux comprendre Midjourney et son utilisation dans la direction artistique.

 

Peux-tu nous décrire comment s’est déroulée la création de la campagne Undiz ? 

Pour la campagne Undiz, nous n’avons pas eu de direction artistique à réaliser, nous étions exécutants. La marque est arrivée avec sa direction artistique et nous a demandé de réaliser cela grâce à Midjourney. L’objectif était de faire un shoot irréalisable dans la réalité puisque c’était un shoot sous l’eau. C’est là que l’intervention de l’IA est très intéressante.

L’équipe d’Undiz nous a donné un brief pour que nous puissions produire l’image via IA puis y intégrer le produit. C’est également l’enjeu de la production de campagnes par IA, Midjourney peut produire une image, mais nous devrons toujours y intégrer un produit que le programme ne peut pas inventer. Il faut donc shooter le produit et le rajouter sur l’image générée par Midjourney, grâce à Photoshop. Aujourd’hui Photoshop possède également un outil d’IA, on peut donc même intégrer le produit grâce à celle-ci.

 

Combien de temps est nécessaire à la création d’une campagne grâce à Midjourney ? Et quel est le budget, en comparaison à une campagne traditionnelle ?

En ce qui concerne le temps, il faut savoir que la création grâce à Midjourney est tellement aléatoire que l’on peut aussi bien mettre quelques minutes à obtenir l’image souhaitée que quelques jours parfois. Le timing est donc difficile à anticiper.

Ce qui est évident, c’est qu’une campagne par IA représente beaucoup moins de dépenses qu’une campagne traditionnelle, car une à trois personnes seulement sont à rémunérer. Chez CowBoys nous avons récemment entrepris une structuration des équipes pour les projets avec IA. Nous aimerions travailler sur ce genre de projet avec un spécialiste de l’IA, un retoucheur et un photographe pour shooter le projet. C’est de cette manière que se dérouleront les campagnes via Midjourney, avec le moins de moyens possibles. Évidemment, il n’y a donc pas toute une équipe de production, pas de gros shootings à produire… C’est surtout un gain de temps et d’argent énorme en ce qui concerne le set design sur les shootings. Certains shootings demandent des décors et des scénographies qui coûtent extrêmement cher. Midjourney permet alors de réaliser ces décors gratuitement et sans effort.

En revanche, un shooting traditionnel n’est pas remplaçable si la marque demande un mannequin spécifique. Une marque qui souhaite réaliser un shooting avec Bella Hadid, par exemple, ne pourra pas réaliser sa campagne grâce à Midjourney puisqu’elle devra obligatoirement shooter le mannequin pour rester dans la légalité et pouvoir revendiquer la présence du mannequin sur la campagne.

 

Peux-tu nous citer des exemples de campagnes marquantes qui ont été réalisées grâce à l’IA ?

L’une des premières campagnes réalisées grâce à l’IA a été faite pour Moncler. Ils ont lancé toute une campagne de publicité en IA, mais qui ne présente pas leurs vrais produits. Ce sont de fausses doudounes, un peu futuristes. C’était simplement un coup de communication pour faire le buzz.

 

Qu’en est-il de la législation concernant ce type de publicité ?

Je pense que c’est nouveau et compliqué, et il y aura très probablement des problématiques liées à ça. Évidemment, des gens peuvent en abuser, et il y a une législation à adapter et à créer. Pour la campagne Undiz par exemple, la marque a souhaité indiquer sur les affiches qu’elles avaient été générées à partir de l’intelligence artificielle, par soucis d’honnêteté. Ce sont des nouveaux codes à penser pour l’avenir.

 

Selon toi, l’IA peut-elle surpasser l’homme jusque dans la créativité et l’esthétique ?

Dans une équipe de création, il y aura toujours besoin d’un directeur artistique, car il faut d’abord penser l’image, avoir l’idée. Pour produire une image sur Midjourney, il faut également avoir de bonnes références à la base et des connaissances en direction artistique, sinon le programme va générer des images qui ne sont pas du goût et de l’esthétique attendus. On aura toujours besoin de l’homme derrière l’IA, mais peut-être de moins d’hommes. Après, cela peut aussi créer différents types de métiers et d’expertises, il y aura de plus en plus d’experts en IA, et le travail d’intégration du produit à l’image, par exemple, pourra également devenir un métier à part entière…

 

 

As-tu peur d’être dépassée dans ton métier par l’IA et surtout par les gens qui savent l’utiliser ?

Oui, totalement, j’ai eu peur et j’ai encore peur. Il y a quelques mois au bureau nous étions paniqués par cette nouveauté, aujourd’hui on a beaucoup de demandes et on commence à s’y adapter. On a maintenant quelqu’un en freelance qui gère ces projets. De manière plus personnelle, j’ai du mal à me lancer dans ce genre d'innovation, mais c’est nécessaire car si je ne suis pas la tendance je serai vite dépassée. D’un autre côté, il y aura toujours besoin de directeurs artistiques puisqu’on réfléchit en amont à une direction artistique et on demande ensuite à un spécialiste de la réaliser sur Midjourney.

 

Penses-tu qu’il sera nécessaire de s’y former dans les prochaines années ?

Oui, c’est obligatoire. Les écoles de direction artistique doivent se mettre à jour et prévoir des cours qui forment à cette technologie. Cette année déjà, le major de promotion de l’école Penninghen a réalisé tout son projet de fin d’études grâce à l’IA. Il a d’abord pensé des images qu’il a ensuite réalisées dans un premier temps en prenant lui-même de vraies photos, et dans un deuxième temps grâce à l’IA pour comparer les rendus des deux images. Le projet était excellent aussi bien pour la qualité des photos de l’étudiant que pour l’utilisation qu’il a su faire de l’IA. Encore une fois, ici, il prouve que l’artiste et sa vision perdure derrière l’IA…

 

Qu’est-ce qui peut différencier les créations de Midjourney de celles de l’homme ?

Midjourney a vite évolué, mais au début les mains étaient souvent assez mal réalisées. Il reste encore des perfectionnements, notamment concernant ce côté un peu fake des images, avec des visages inanimés, un peu effrayants. Ce sont des images lissées qui se rapprochent du manga et des animés. On retrouve souvent un « style » Midjourney, comme si le programme avait déjà une direction artistique. Il faut mettre les bons mots dans le prompt et bien connaître le langage du programme, mais c’est compliqué de s’éloigner de cet effet trop lisse.

 

Que penses-tu de l’IA dans l’art ? L’idée est pensée et dictée par un cerveau, donc l’imagination et la créativité persiste un minimum, mais qu’en est-il de la technique, risque-t-elle de se perdre ?

Je pense que l’utilisation de l’IA sera revendiquée comme une réelle technique, cela peut simplement paraître plus décevant parce qu’on sent qu’il y a moins le travail de la main, qui se perd de plus en plus au travers des années. Mais cela reste une création. Pour moi penser l’image, la diriger et l’écrire, ça reste de l’art. Ce sont d’autres artistes, de nouveaux artistes. Il faut cependant prendre en compte l’énorme part de créativité du programme qui n’est pas négligeable, je dirais que ce sont des artistes en collaboration avec l’IA. Il y a une grosse part de « hasard » mais c’est ce qui fait aussi la beauté de la chose, l’IA est un puits de ressources infini.


(Photos : @ Undiz)

 

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