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Martin Haselböck, l’artiste qui ne connaît pas de limites

10/02/2020|Alain E. Andrea

Imprégnée de la présence divine, la musique de Jean-Sébastien Bach incarne les mots du peintre postimpressionniste français Paul Gauguin affirmant que « l’art est une abstraction, c’est le moyen de monter vers Dieu en faisant comme notre divin maître, créer ». Cette présence transcendante qui habite les partitions du « cantor de Leipzig », gravés à jamais dans l’Histoire de la musique savante, poussait Edwin Fischer, l’un des plus inoubliables interprètes de Bach, à contempler, dans l’humilité, ces chefs-d’œuvre monumentaux entièrement dédiés à la gloire de Dieu : « Tu contempleras, étonné, ce mystère des œuvres en qui se confond une telle multiplicité et qui ont tant de visages. On devient silencieux alors et l'on sent que l'on ne peut mesurer la petitesse de sa vie à ce qui est éternel et qu'il nous est permis seulement, par un humble travail et l'étude infatigable de la langue originelle du maître, d'atteindre comme lui à cette paix intérieure qui est l'un des biens les plus élevés de notre existence terrestre. » Martin Haselböck fut l’un de ces nombreux musiciens à vouloir approcher le mystère des architectures savantes et des coloris somptueux des harmonies du « père de la musique ». C’est avec nostalgie qu’il raconte ses débuts : « Tout petit, j’ai commencé à suivre des cours de piano mais au fond de moi je savais que je voulais jouer de l’orgue et ceci pour deux raisons : la première était ma passion pour la musique baroque, et plus particulièrement celle de J.S. Bach, que j’admirais depuis mon enfance, et la deuxième était la possibilité de créer de nouvelles sonorités tout à fait inhabituelles grâce à l’improvisation ». Jamais deux sans trois, ce fut, par la suite, l’idée de créer de nouvelles compositions pour l’orgue, influencé par de grands compositeurs qu’il a « eu la chance de côtoyer » à l’instar d’Olivier Messiaen. C’est là que tout a commencé.

       

« Mon père était organiste et professeur d’orgue en Autriche. Il a  joué au Liban, avant la guerre de 1975, à l’Université américaine de Beyrouth », glisse Haselböck en indiquant qu’avant de se consacrer à l’instrument roi, il a étudié le piano, le clavecin et la flûte à bec. « C’est à 12 ans que je me suis mis, pour la première fois, à l’orgue. C’était nécessaire pour que mes pieds puissent toucher les pédales », lance-t-il avec humour. Son père, le célèbre organiste Hans Haselböck, décoré de la croix d'argent de l'ordre du Mérite autrichien, « n’a pas voulu lui enseigner l’orgue ». Ce dernier confia, toutefois, son apprentissage à un grand professeur autrichien Anton Heiller, titulaire de nombreux prix internationaux récompensant ses interprétations de la musique d’orgue, puis à deux célèbres organistes français Jean Langlais, lui-même élève du « perfectionniste impitoyable » Paul Dukas, compositeur du célèbre poème symphonique L’Apprenti sorcier, et Daniel Roth, car « les écoles étaient tout à fait différentes et c’était nécessaire de s’ouvrir à tous les styles ». Il se spécialisa également en composition avec Michael Radulescu puis Anton Heiller et Friedrich Cerha, ainsi qu’en direction d’orchestre. En parallèle, Martin Haselböck, ayant à son actif plusieurs essais philosophiques, étudia la discipline de Socrate : « Mon père qui détenait un doctorat en langues et philologie me disait toujours qu’un organiste doit avoir une large perspective culturelle ne se limitant pas qu’à la musique ». A 21 ans, il entama une grande tournée aux Etats-Unis où il fut invité à donner des cours dans l’une des plus prestigieuses universités américaines. De retour en Autriche, il devint, entre autres, titulaire de l’orgue de la Chapelle royale de Vienne, « une des cinq églises viennoises à célébrer, chaque dimanche, la messe avec orgue et orchestre».

 

Depuis, les concerts se sont multipliés et sa notoriété prit enfin forme. Haselböck se rappelle particulièrement du premier concert de grand orgue donné en Australie, après avoir gagné plusieurs compétitions, en notant que c’est suite à cette performance que son nom devint de plus en plus  connu. « Le monde des organistes était assez petit. C’était beaucoup plus facile qu’aujourd’hui », fait-il remarquer. Dès lors, plusieurs grands compositeurs contemporains tels que Cristobal Halffter, Ernst Krenek, Gilbert Amy et Alfred Schnittke se mirent à écrire et à dédier des compositions à ce virtuose viennois. Sa discographie, en tant que soliste, qui compte, aujourd’hui, plus de 50 enregistrements dont l’intégrale des œuvres de Liszt pour orgue, fut récompensée par de nombreux prix, à citer le  Deutscher Schallplattenpreis, le Diapason d'Or et le prix hongrois Liszt.        

 

L’engagement intensif de Martin Haselböck, interprétant et dirigeant tout un répertoire de musique savante ecclésiastique, l’inspira à créer son propre orchestre, Orchester Wiener Akademie (l’Orchestre de l’Académie de Vienne), en 1985. Cette même année, à l’occasion du tricentenaire de la naissance de Bach, et dans le cadre d’un grand festival, cet orchestre interpréta l’intégralité des œuvres pour orgue du compositeur allemand. A la suite de cette série de concerts, il fut invité à se produire annuellement dans de prestigieuses salles de concert internationales dont la Vienna Musikverein. Plus de 60 CDs, regroupant des œuvres allant de Bach à des compositeurs contemporains, ont été enregistrés par cet orchestre sous la houlette du maestro viennois. L’enregistrement de l’intégralité des œuvres orchestrales de Liszt, en 2011, intitulée « The Sound of Weimar », avec des instruments de l’époque du compositeur hongrois et dans « des lieux chargés d’histoire et chers au compositeur », reçut les plus grands éloges de la presse musicale internationale. Cette série fut récompensée par plusieurs prix dont le Jun-Tokusen-Award et, deux ans de suite, par le Grand Prix du Disque International Franz Liszt. 

 

« Le dernier grand projet que j’ai entrepris avec mon orchestre était bien évidement l’enregistrement de toutes les symphonies et les concertos pour piano de Beethoven, à l’occasion de son 250e anniversaire, annonce Haselböck fièrement en précisant que ce projet, intitulé Resound, ramène les œuvres orchestrales du compositeur allemand dans les salles et les théâtres de leurs premières viennoises ou dans les autres lieux où ces pièces furent interprétées pour la première fois. Et d’ajouter : « Quatre des six salles où ont eu lieu les premières représentations d’une ou plusieurs des neuf symphonies existent toujours, tout comme les huit salles et théâtres viennois où les œuvres du compositeur ont été jouées de son vivant. » Il est à noter que l’effectif orchestral correspond, en taille et en instruments, à celui utilisé par le compositeur, et « les performances respectent même des dispositions de plate-forme inhabituelles, comme placer le chœur devant l'orchestre dans la neuvième symphonie ». L’expert de Beethoven, considéré comme l'un des artistes les plus importants du monde de la performance historique, tient toutefois à souligner que le but de ce projet était « d’enregistrer ces chefs-d’œuvre sur des instruments qui ont été utilisés par le compositeur dont deux pianos qui ont été joués par Beethoven en personne ».

 

Et pour finir en beauté, l’organiste autrichien, qui a acquis une brillante réputation en tant que soliste d'orgue, travaillant avec des chefs tels que Claudio Abbado, Lorin Maazel, Wolfgang Sawallisch, Riccardo Muti et bien d'autres, revient sur sa collaboration, qui a duré vingt ans, avec Abbado, considéré comme l’un des plus grands chefs d’orchestre du XXe siècle. « Ma relation avec Claudio Abbado était en tant qu’organiste de l’Orchestre philharmonique de Vienne. Nous avons interprété plusieurs pièces pour orgue et orchestre dont le Te Deum de Berlioz que nous avions enregistré en Angleterre », se remémore-t-il avant d’adresser un message au maestro décédé en 2014 : « Il était intéressant parce qu’il était un chef presque moderne sans autorité directe durant les répétitions mais très concentré durant les concerts. Il était d’une grande inspiration pour moi, pas seulement sur un plan musical mais aussi humain. Je le remercie énormément pour toutes ces années de travail commun. C’était vraiment une joie. » Et un dernier mot pour les organistes du SOL festival ? « J’avais d’abord lu tout sur ce festival et j’étais surpris mais aussi fasciné de savoir qu’un tel évènement existe au Liban. Un ami italien, lui-même organiste, m’a proposé d’y participer et j’ai tout de suite accepté. Je souhaite beaucoup de succès à ce festival qui rend l’orgue accessible à tous les libanais », conclut-il.

                 

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