Alors qu’il vient de donner un concert totalement inédit avec le compositeur Naji Hakim à Beit Tabaris, Mario Rahi, premier violon de l’Orchestre philharmonique du Liban, répond aux questions de l’Agenda Culturel.
Vous avez débuté votre parcours musical de façon peu conventionnelle ?
Oui j’ai commencé l’étude du violon à l’âge de huit ans, mais dans une école privée, sans la structure méthodique du Conservatoire. J’ai abordé la musique de façon plutôt générale et j’étais un enfant passionné de toutes les musiques. Je voulais en connaître tous les aspects, sans m’enfermer dans un genre limité.
Y compris la musique arabe ?
Eh bien non ! Je n’ai jamais eu un vrai intérêt pour la musique arabe, bien que mes parents en écoutaient à la maison. Toutefois je n’y retrouvais pas l’harmonie. Le violon étant un instrument mélodique, je recherchais sans cesse l’harmonie que je retrouvais dans la musique classique et aussi dans la musique tzigane que j’adorais.
Quelle a été pour vous la suite des événements ?
A l’adolescence j’ai abandonné l’apprentissage méthodique du violon pour ne plus jouer que pour mon plaisir. Puis à l’âge de 18 ans, j’ai entamé des études de génie informatique à l’Université Notre-Dame de Louaizé. Mais cela n’était pas pour moi. J’étais en permanence tourmenté de ne pouvoir m’adonner à la musique à mon gré, car ce parcours universitaire exigeait que l’on s’y consacre complètement.
Et l’Italie alors ?
Nous y arrivons ! Mon oncle avait été envoyé en Italie pour prendre la direction de la section arabe de Radio Vatican. Voyant mon désarroi, il me propose de poursuivre mon cursus en Italie. Je n’ai pas hésité une seconde. Mais comment être admis au célèbre Conservatoire Santa Cecilia quand on n’a pas soi-même suivi un parcours classique régulier ?Il me fallait une préparation assidue et, sur place, un excellent professeur a été mon guide.
Vous avez passé huit ans à Rome ?
Oui et au début j’ai beaucoup souffert de mes lacunes en matières théoriques. J’ai dû mettre les bouchées doubles et après avoir terminé la formation, j’ai été admis à l’Académie Sainte Cécile où j’ai passé un diplôme de perfectionnement pour devenir concertiste. Trois ans extrêmement intensifs.
Qu’est ce qui, en 2011, vous pousse à rentrer au Liban ?
J’avais en effet la possibilité travailler en Italie et j’ai collaboré à un grand nombre d’orchestres et de formation comme « freelancer ». Mais je fréquentais à l’époque des personnes qui faisaient partie de mouvement actifs en matière d’immigration et l’une d’elles m’a dit un jour : « rentrer chez toi est plus intéressant que rester en Europe. Les émigrés sont des sujets stratégiques de développement pour leur patrie ». Cette phrase m’a profondément marqué et j’ai pris la décision de rentrer au Liban afin d’être « un sujet stratégique de développement » pour mon pays.
Comment a démarré votre carrière au Liban ?
Au début j’étais un parfait inconnu, n’ayant pas fait le parcours classique du Conservatoire. Donc il me fallait faire mes preuves. Je décide de me produire en récital avec mon pianiste italien. Ce concert a attiré beaucoup de monde, par curiosité, et il a constitué un grand succès. J’ai donc commencé à travailler sur la scène musicale libanaise, puis j’ai intégré l’Orchestre philharmonique du Liban comme deuxième violon. Puis j’ai poursuivi mon chemin au sein de l’orchestre et j’ai monté les échelons jusqu’à devenir premier violon.
Vous avez continué votre carrière comme musicien d’orchestre et comme soliste ?
Oui, avec quelques erreurs à la clé. J’avais un emploi du temps bien trop chargé, entre enseignement et concerts, ce qui ne me laissait plus assez de temps pour mon travail personnel. Ma technique s’en est alors ressentie et j’ai régressé.
Comment avez-vous pu redresser la barre ?
Au moment de la pandémie et de la crise économique, je me suis retrouvé avec beaucoup de temps devant moi. Cela m’a permis de travailler à fond ma technique afin de rétablir le niveau où j’étais en arrivant d’Italie. Cette dispersion m’avait été néfaste et j’ai heureusement pu me concentrer et recommencer à progresser. Il est extrêmement important pour un musicien de se remettre régulièrement en question s’il veut se maintenir au plus haut niveau. Se reposer sur ses lauriers est un piège. Hélas certains musiciens ne le réalisent pas toujours et il arrive, si l’égo est trop fort, que l’on se croie invincible.
Vous êtes l’un des interprètes majeurs de la musique savante libanaise. Pensez-vous qu’il existe un véritable courant de musique nationale ?
Bien sûr. Vous savez, quand je vivais en Italie, j’étais souvent en contact avec des compositeurs italiens. Et cet échange entre compositeur et interprète est essentiel et extrêmement enrichissant. Au Liban c’est pareil. Nous avons des compositeurs dont le langage musical peut varier, entre plus ou moins contemporain, plus ou moins oriental ou occidental. Un peu à l’image de l’âme libanaise, un pont entre les cultures. Il est très important d’aller à la rencontre de ce patrimoine musical et de le faire entendre. J’ai hélas constaté chez certains interprètes une forme de condescendance envers la musique savante libanaise. Ce n’est pas à nous de juger. Notre rôle est de servir la musique et ceux qui viennent après nous décideront (ou pas) de sa longévité ou de son immortalité.
Que faut-il vous souhaiter ?
D’être en recherche continue de la meilleure version de moi-même au niveau musical et personnel. D’être dans la transmission et de servir la musique aussi longtemps que je le pourrai.
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