« Il y a du feu dans sa musique » dit de lui son fils, le pianiste Abdel Rahman El Bacha. Cependant rien ne prédisposait Toufic El Bacha à devenir l’immense compositeur qu’il a été, l’un des pères fondateurs de la musique savante libanaise. Certes, sa famille est mélomane, mais la musique « ne peut constituer un métier ». C’est sans compter avec l’opiniâtreté du jeune homme et l’extraordinaire influence son oncle maternel, Khalil Maknié, peintre et musicien, dont le domicile est le lieu de rencontre de tout ce qui compte d’intellectuels et d’artistes dans le Beyrouth des années 1940. Le jeune Toufic y découvre, fasciné, un monde enchanté. En 1941, Toufic El Bacha commence un cursus musical à l’Université américaine et approfondit l’étude du violoncelle, instrument qu’il maîtrise rapidement, ainsi que des matières théoriques. Très vite, il se passionne pour la musique arabe dans sa forme classique et se donne comme but d’en explorer les fondements afin de la réhabiliter. En 1950, il intègre le Groupe des Cinq avec Philémon Wehbé, les frères Rahbani, Zaki Nassif (qui lui ont été présentés par son oncle, ce bon génie musical). Toufic El Bacha sera pendant de très longues années l’un des orchestrateurs officiels du Festival International de Baalbeck dont il a fait les beaux soirs.
Son catalogue est très riche et restitue aux Mouachahat leur statut de musique savante mais la grande œuvre de sa vie, son testament musical, jamais représenté sur scène ni enregistré, est sans conteste son opéra Cadmus et Europe qui date de 2004. Cet opéra présente une grande originalité. Le livret est de Saïd Akl et l’argument conte l’enlèvement d’Europe par Zeus déguisé en taureau, puis l’épopée de son frère Cadmus qui part à sa recherche et diffuse l’alphabet phénicien sur le continent qui portera le nom de sa sœur. L’écriture musicale en est lyrique et savante, tout en restant accessible. Le texte est mis en musique, en récitatifs, chantés dans un style plutôt classique avec parfois des accents plus orientaux. Les portraits musicaux des quatre divinités antiques, Apollon, Orphée, Bacchus et Vénus, sont composés par Abdel Rahman El Bacha et orchestrés par son père Toufic qui utilisera le principe du leitmotiv (à la manière des opéras de Richard Wagner) où chaque personnage est identifié d’après un motif musical qui lui est propre.
Musicien universel, créateur de courants musicaux jamais cloisonnés, premier compositeur à avoir osé mélanger les instruments orientaux à l’orchestre occidental, Toufic El Bacha est, de par sa musique et sa personnalité, l’un des précurseurs du dialogue des cultures. Il avait foi dans une grande musique arabe et a réussi à entremêler harmonieusement des mouvements musicaux qui, à une certaine époque, pouvaient sembler totalement inconciliables.
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