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Les arts et la culture au Liban : Cinéma

29/03/2022|Emma Moschkowitz

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Fort d’une renommée internationale forgée ces dernières années grâce à la qualité du travail de ses professionnels, le Liban jouit d’un élan vertueux vis-à-vis de sa production cinématographique. Pour autant, la situation financière, politique et sanitaire du pays met à mal une industrie qui, bien que talentueuse, nécessite des fonds très importants, une expertise certaine et un soutien promotionnel constant.

 

 

CONDITIONS DE CRÉATION ET DE PRODUCTION

 

D’un point de vue général, la production cinématographique a baissé : environ 30 films par an étaient produits auparavant, aujourd’hui, on en compte entre 10 et 15. Egalement, les types de production audiovisuelle tendent à changer : les réalisateurs se tournent vers la réalisation de séries, qui sont plus faciles à financer (les plateformes digitales s’intéressent davantage aux séries en ce qu’elles représentent du contenu durable et rentable) et intéressent un public très large, ou bien vers des courts-métrages, qui nécessitent moins de fonds. Les documentaires représentent aussi une part importante de la production cinématographique, et bénéficient souvent de financements internationaux, et notamment européens. Concernant les longs-métrages, les productions s’orientent soit vers des films commerciaux, qui ont déjà leur public, peuvent se faire à des budgets réduits et bénéficier d’aides régionales, soit vers des films d’auteur, qui bénéficient d’une facilité de financement de la part des institutions publiques européennes et peuvent aisément être achetés par des plateformes. En revanche, les films de qualité à budget conséquent sont en danger au Liban car ils reposaient sur des financements privés qui ne sont plus.

 

La Fondation Liban Cinéma, présidée par Maya de Freige, est une association privée qui soutient le développement de l’industrie cinématographique libanaise. La Fondation oriente sa mission autour du soutien des jeunes générations : elle les aide au financement, à la promotion, à la distribution et à la diffusion de leurs œuvres en les approchant des experts adaptés à leurs besoins. L’initiative s’attache à mettre en place un écosystème interne au pays qui permette au cinéma d’être plus fort. La Fondation insiste ainsi sur la structuration du secteur, et notamment à travers la mise en place d’accords de coproduction avec l’étranger, dont avec la France, la Belgique ou encore l’Argentine, mais ceux-ci sont retardés par le gouvernement libanais.

 

CONDITIONS DE PROGRAMMATION ET DE DIFFUSION

 

Aujourd’hui, on compte sept cinémas à Beyrouth, un à Saida (Ishbilia, qui met en avant le cinéma contemporain indépendant libanais et arabe) et un à Zahlé (Stargate). Ces cinémas peinent à se financer : malgré une augmentation de leurs prix, la vente de tickets ne suffit pas à couvrir leurs frais. Alors, pour réduire ces derniers, les salles n’achètent pas les films qu’ils projettent et n’investissent pas sur la communication autour des films, elles ne sont qu’une plateforme accueillant des productions et les proposant au public. Reste alors les salaires, l’électricité, le mazout, l’équipement à payer. Les multiplex choisissent donc d’orienter leur programmation autour de blockbusters américains, qui coûtent très peu chers et raviront le public le plus large possible. Le reste de l’offre n’intéresse que très peu les exploitants car le public intéressé ne saurait couvrir les frais liés au fonctionnement des salles. Cela mène à une situation dans laquelle la plupart des productions libanaises, et notamment le cinéma d’auteur indépendant, ne voient jamais le jour dans leur propre pays de création. Il est également à noter que la censure reste une problématique de taille pour les réalisateurs libanais qui sont soumis à l’approbation par la Sûreté Générale, de la diffusion de leur production. Ces autorisations sont délivrées par des fonctionnaires chargés de la sécurité nationale qui ne disposent malheureusement pas nécessairement de formation ou d’éducation en cinéma. Le secteur n’est donc pas indépendant de l’Etat et de ses politiques.

 

Metropolis Cinema est une association créée en 2006. Alors que la salle de Metropolis était la seule à proposer une programmation de films d’auteur et indépendants, la fermeture de cette salle, en janvier 2020, a invisibilisé toute une frange de la production, en dépit d’un public pourtant au rendez-vous. Metropolis oriente aujourd’hui ses activités autour de la tenue de manifestations temporaires. Forte de ses partenariats (avec des festivals internationaux, des instances diplomatiques européennes et des organisations non-gouvernementales), l’association organise de nombreux festivals qui couvrent tout type de production audiovisuelle (documentaire, courts-métrages, longs-métrages, cinéma européen, cinéma libanais, jeune public, animation, etc.) et visent à promouvoir la production audiovisuelle libanaise ainsi que la diversification de la diffusion cinématographique à travers le pays.

 

La faible diversité de l’offre dans les salles permanentes a entraîné la création de nombreux festivals dans la capitale et à travers le pays. Ceux-ci, bien que forcés de s’arrêter durant les confinements, ont toutefois pu reprendre leurs activités assez rapidement et ce malgré les crises grâce à une facilité de mise en place de leurs infrastructures qui leur a permis d’être accueillis par des salles de spectacle ou de concert ou bien même d’avoir lieu en plein-air.    L’accession à des festivals internationaux reste la plus importante possibilité de visibilité pour les productions cinématographiques. Ils représentent aussi des occasions de financement pour des projets à venir. Ces dernières années, le cinéma libanais a connu un succès considérable dans les grandes manifestations internationales (Venise, Berlin, Cannes, etc.), permettant aux réalisateurs de voir leurs productions diffusées dans les salles de cinéma à l’étranger.

Enfin, l’émergence des plateformes de streaming a considérablement transformé le secteur. Si des géants, comme Netflix, s’attachent à proposer un contenu en adéquation avec les attentes de leurs utilisateurs au niveau régional (ainsi, le Netflix MENA est constamment mis à jour avec des productions de réalisateurs de la région), d’autres plateformes ont été créées par des acteurs du Moyen-Orient. Ainsi, la plateforme libanaise Aflamuna (créée par Beirut DC) et la plateforme moyen-orientale Shasha Movies affichent un catalogue restreint mais souvent mis à jour et entendent donc promouvoir la création cinématographique de la région. Les plateformes régionales Shahid ou OSN Movies quant à elles se veulent être des concurrents directs de Netflix en ce qu’elles proposent des catalogues très fournis qui réunissent à la fois des films et séries produits localement mais aussi des réalisations internationales. Toutefois, le poids du cinéma libanais sur ces géants du streaming reste moindre, et ce à la fois à cause d’un faible taux d’abonnements depuis le Liban mais aussi du fait d’une offre considérable dans laquelle la production libanaise se perd. L’on observe aujourd’hui une transformation du marché moyen-oriental au niveau de l’audiovisuel : alors que le Liban et l’Egypte étaient les leaders du secteur cinématographique auparavant, les pays du Golfe s’imposent de plus en plus sur les plateformes de streaming, notamment grâce à leur offre en series

 

PUBLICS

 

A Beyrouth, où est concentrée la majorité de la demande, la multiplicité des festivals, que l’on estime à une vingtaine pour l’année 2021, a rassemblé des publics très larges autour d’offres très diversifiées. Un fort intérêt pour le septième art semble être observé parmi le public libanais, et notamment chez les jeunes générations. En cause, la multiplication des plateformes de vidéos à la demande, qui ont permis à un plus grand nombre d’avoir accès, et donc de s’intéresser, au cinéma (bien que cet accès soit toutefois conditionné à un débit d’internet puissant, qui reste impossible dans les régions reculées et paupérisées du Liban). Ainsi, les plateformes de streaming, grâce à la richesse de leurs catalogues, ont permis à un public plus large de visionner davantage de films et de profiter de productions diverses. Au Liban comme au niveau mondial, la consommation du cinéma s’est donc vue modifiée, au profit du petit écran, dans un monde contraint par les restrictions sanitaires qu’a entraîné la crise du Covid. La tenue de manifestations gratuites et en plein-air reste alors le moyen le plus efficace de rassembler un public en demande de visionnage sur grand écran. En outre, la diversité de leurs offres, comparativement à celle des multiplex (qui ne programment que des grosses productions qui attirent un public familial), reste la seule possibilité pour les spectateurs beyrouthins de profiter de productions indépendantes et d’auteurs.

Si Beyrouth occupe une place très importante dans la diffusion du cinéma libanais auparavant, en ce qu’elle rassemble la majorité de l’offre et de la demande, l’impact des crises sur la capitale a donné davantage de visibilité aux régions. Aujourd’hui, les acteurs du secteur s’affairent à organiser des événements en dehors de Beyrouth et souvent, en plein-air (pour contrer les restrictions sanitaires) et gratuitement, afin de toucher le public le plus large possible. Une démocratisation plus ample du septième art reste une préoccupation majeure, et le travail semble devoir être fait dès le plus jeune âge. En outre, les récents festivals en région, et notamment dans la Bekaa, le Akkar ou dans le Chouf, ont montré que les populations qui y vivaient étaient enthousiastes vis-à-vis de l’offre propose.

 

MODÈLES ÉCONOMIQUES

Ces dernières années, la production cinématographique libanaise reposait essentiellement sur trois moyens de financement : les fonds étrangers, les fonds privés et la nécessaire diversification des réalisateurs vis-à-vis de leurs activités (les fonds publics ayant toujours été quasi nuls). Suite aux crises qui se sont succédé dans le pays, le modèle économique a été fortement ébranlé.

 

D’abord, alors que beaucoup d’argent privé avait été investi dans le cinéma libanais, au vu de son succès international, ces fonds se sont inexorablement asséchés. Ce soutien financier a en effet subi de plein fouet la crise économique. D’une part, certains donateurs privés ont vu leur argent bloqué dans les banques et la valeur de leur patrimoine fortement réduite par la dévaluation de la livre libanaise. D’autre part, beaucoup d’investisseurs ont quitté le pays. Enfin, parmi ceux qui arrivent à continuer leurs actions de mécénat, nombreux sont ceux qui se tournent désormais vers le soutien d’associations caritatives ou d’initiatives qui viennent en aide à des populations en danger, marginalisées, paupérisées.

 

De ce constat, la production cinématographique s’est donc massivement tournée vers l’international, d’autant plus que l’ouverture vers l’étranger a permis au cinéma libanais de jouir d’encore plus de visibilité (ce qui est un avantage non négligeable pour les boîtes de production qui se rémunèrent davantage grâce à la distribution des films qu’ils produisent que grâce à leur production en elle-même). De façon générale, les financements étrangers sont essentiels à la production cinématographique au Liban. Beaucoup de réalisateurs proposent leur scénario à des producteurs européens : la majorité du travail se fait alors depuis l’Europe et seul le tournage a lieu au Liban. Les instances publiques européennes sont aussi très importantes dans le financement de films libanais, le Centre National du Cinéma français par exemple alloue fréquemment des budgets aux réalisateurs et producteurs, mais leurs avances sur recette sont conditionnées par des obligations scénaristiques (51% des dialogues doivent être en français), ce qui affectent parfois la création artistique. Pareillement, certains financements d’instance diplomatique étrangère implique d’incorporer au scénario un lien culturel avec la structure qui finance, et ce au détriment d’une certaine envie créative. En outre, les instances européennes ont parfois tendance à préférer des scénarios qui exploitent un certain sensationnalisme qu’implique les crises et conflits que connaît le Liban, jusqu’à rejeter des projets qui ne s’y apparentent pas. Ces dernières années, cette dépendance à l’international est rendue compliquée par les crises sanitaire et économique : le gel des capitaux et les restrictions bancaires complexifient les échanges avec l’étranger car les producteurs libanais se voient obligés d’élaborer des montages financiers vis-à-vis des taux pratiqués, des devises, etc. afin d’espérer pouvoir arriver à obtenir un soutien de l’étranger. Il faut alors proposer des budgets différenciés selon les instances auxquelles ils sont adressés : au taux officiel pour la taxation, en euros pour les institutions européennes, en dollars pour les organisations internationales. Ces schémas sont encore davantage complexifiés lorsqu’il s’agit de coproductions, car ils impliquent que des montants précis soient dépensés dans des pays précis (par exemple, le tournage se fait au Liban, la post-production en Suède, le montage aux Pays-Bas, etc.).

 

Enfin, la création de films a toujours été peu rémunératrice pour les réalisateurs libanais, et ceux-ci se sont alors orientés soit vers l’enseignement soit vers la conception, en parallèle de leurs projets, de productions commerciales (publicité et télévision) auprès de grosses entreprises, souvent du Golfe, intéressés par la qualité de l’équipement, le professionnalisme et l’absence de censure au Liban (comparativement aux politiques en vigueur dans ces pays). De la même façon, les boîtes de production (qui sont environ une dizaine au Liban) finançaient des productions commerciales pour pouvoir se permettre de ne pas avoir à faire de marge sur les films d’auteur. Seulement, cette solution n’est désormais plus viable : avec l’explosion, détruisant de nombreux studios et matériels, la crise sanitaire, rendant impossible les déplacements, et la crise économique, les studios de productions commerciales se sont relocalisés à Dubaï, Amman ou encore en Arabie Saoudite. Aujourd’hui, les réalisateurs libanais peinent donc à trouver des contrats avec des clients étrangers, ce qui pourrait pourtant leur permettre de subvenir à leurs besoins et de pouvoir financer leurs propres productions.

 

CONCLUSION SECTORIELLE

Après analyse du secteur, il est possible de déterminer les problématiques suivantes :

• les jeunes réalisateurs peinent à se créer un réseau et à être visible sur la scène cinématographique, la mise en relation de ceux-ci à travers la création d’entités de coopération reste à faire ;

• avec l’incapacité des mécènes privés à poursuivre leur soutien du cinéma, les films à budget conséquent ne peuvent se produire au Liban. Beaucoup de scénarios restent non-produits ;

• la crise sanitaire a accéléré la transformation du secteur audiovisuel, en faveur des plateformes de streaming. Si la demande en termes de projection en salles s’est donc amoindrie, c’est également la demande en termes de type de production qui a changé : les utilisateurs de plateformes de VOD semblent afficher un intérêt grandissant pour les séries.

Toutefois, et si ces plateformes ont permis aux réalisateurs de voir leur visibilité s’accroître et au public de continuer à avoir accès au cinéma malgré la pandémie, elles posent un réel problème d’accessibilité, notamment vis-à-vis des populations qui n’ont pas ou peu accès à Internet ou n’ont pas les moyens de s’abonner ;

• la censure reste une réelle problématique au Liban, empêchant des réalisateurs libanais de faire diffuser certains de leurs films à l’intérieur du pays ;

• les coûts considérables liés à l’entretien d’une salle de cinéma réduisent la possibilité pour celle-ci de projeter une variété de films, en découle une offre très grand public (américaine et à gros budget) qui n’est que très peu représentative de l’offre cinématographique régionale et mondiale ;

• la démocratisation et la décentralisation de l’offre cinématographique à tous les types de public et dans toutes les régions du Liban est très récente et est toujours un challenge de taille : il s’agit ici d’informer et d’éduquer un public nouveau mais demandant ainsi que de soutenir et de promouvoir la tenue de manifestations culturelles en dehors de Beyrouth ;

• l’assèchement des fonds privés a entrainé une intensification de la co-production avec l’étranger mais le gel des capitaux et les restrictions bancaires complexifient les financements internationaux. Également, l’aide internationale représente, dans une certaine mesure, une entrave à une liberté totale de création scénaristique ;

• la destruction d’énormément de matériel et de lieux après la double explosion du port a fortement ébranlé la production cinématographique, qui en est devenue moins attractive pour l’étranger. Si nombreux sont les films libanais à être sortis en salle et en festival en 2020 et 2021, il est à noter que cela concerne des projets commencés dès 2017/2018, avant le début des crises. La situation actuelle étant drastiquement différente, l’observation de l’impact des crises économiques et sanitaires sur le secteur du cinéma ne pourra se percevoir qu’à partir de 2023/2024.

 

En partenariat avec la Robert Matta Foundation


 

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