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Les arts et la culture au Liban : Musique

23/03/2022|Emma Moschkowitz

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Il est important, pour pouvoir mieux appréhender la scène musicale libanaise, de différencier plusieurs types de productions musicales. Seront abordés dans l’étude qui suit la musique classique, portée par les orchestres philharmonique et oriental de l’Orchestre National, ainsi que les musiques dites actuelles, qui regroupent différents styles musicaux parmi lesquels le rock, le jazz, la pop, la musique électronique, etc.

 

L’étude qui suit omet volontairement de mentionner les chanteur-stars libanais et libanaises, car leur succès implique un chiffre d’affaire et une capacité d’exportation incomparable avec la réalité de la situation des artistes du pays.

 

 

CONDITIONS DE CRÉATION ET DE PRODUCTION

Musique classique

 

La pratique de la musique classique au Liban n’est généralement et malheureusement pas encouragée et la profession reste mal payée et mal considérée. Malgré tout, la musique classique bénéficie d’un soutien important de la part des instances diplomatiques étrangères, ce qui a permis à cette discipline de maintenir un certain niveau d’activité malgré les crises. Aujourd’hui, le départ de beaucoup de musiciens classiques étrangers, ajouté à l’incapacité pour les musiciens libanais d’aller se former à l’étranger est un problème majeur qui s’est soldé en une importante baisse du niveau.

 

>> Le Conservatoire Libanais Supérieur de Musique, présidé par Walid Moussalem, est composé d’un orchestre philharmonique et d’un orchestre oriental. Alors que l’orchestre philharmonique comptait auparavant un tiers d’étrangers, ceux-ci, du fait de la dévaluation dramatique de la livre libanaise et donc de la baisse drastique des salaires, ont dû renoncer, pour un grand nombre à leur poste. Cela a gravement affecté l’orchestre qui a vu son effectif se réduire et la disparition de pupitres de musiciens. Le nombre de concerts a donc dû être réduit, d’autant plus que les musiciens restants sont désormais incapables de se déplacer tous les jours au Conservatoire à cause des prix de l’essence. Ainsi, la saison 2020/2021 de l’orchestre philharmonique n’a vu que quatre concerts se jouer, contre 35 auparavant. L’intégralité des concerts de l’orchestre oriental ont été annulés. Le Conservatoire dispose également d’une formation en musique qui est gratuite et ouverte aux élèves à partir de 7 ans. Le cursus est divisé en deux départements : occidental et arabe. Outre la pratique d’un instrument, les étudiants sont amenés à étudier les matières théoriques (formation musicale, harmonie, fugue, contrepoint, histoire de la musique, etc.) et à participer à une chorale et à des ensembles instrumentaux. Le Conservatoire délivre des diplômes de niveau baccalauréat, licence et master. Avant le début des crises, l’école rassemblait entre 5500 et 6000 élèves toutes branches confondues. Depuis 2019, a été entamé le projet d’un siège pour le Conservatoire Libanais Supérieur de Musique à Dbayeh. Financé par le gouvernement chinois à hauteur de 62 millions de dollars, il s’agit de construire deux bâtiments qui regroupera une salle de concert de 1200 places pour les deux orchestres, ainsi que huit étages destinés à la gestion du Conservatoire et à l’enseignement universitaire permettant aux enseignants de délivrer des diplômes en interprétation, composition et théorie de la musique. Ce bâtiment sera prêt, en principe en octobre 2023.

 

Musiques actuelles 

L’offre de formation reste assez limitée en ce qui concerne les musiques actuelles. Si beaucoup de musiciens sont autodidactes, certains sont toutefois passés par des professeurs indépendants ou bien par des écoles. Ainsi, seules l’USEK dispose d’une École de Musique et l’Université Antonine délivre une licence en musique et musicologie.

 

Ces dernières années, de nombreux artistes du secteur musical ont été contraints d’émigrer afin de préserver leur activité. Depuis l’étranger, beaucoup continuent à travailler au regard du Liban, c’est-à-dire que leurs activités s’orientent souvent autour d’une collaboration entre artistes issus de la diaspora libanaise et pour espérer pouvoir reconstruire une scène artistique au Liban un jour (l’on peut ici citer Zeid Hamdan qui, depuis la France, s’associe à des artistes libanais pour organiser des événements ensemble, ou bien encore Anthony Semaan, anciennement propriétaire de la plateforme Beirut Jam Sessions qui organise désormais des bookings à Londres). Toutefois, l’exportation de la production musicale libanaise est rendue complexe par le traitement de la propriété intellectuelle vis-à-vis d’une œuvre artistique, son respect étant une problématique importante au Liban et au Moyen-Orient. Le concept n’est que très peu connu des artistes et souvent peu observé. Cette situation pose en effet problème à l’étranger car l’Europe et l’Amérique du Nord sont très vigilants quant à ces questions. S’il existe une délégation pour le Liban de la SACEM (Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique) qui reste la seule société légitime à exercer la perception du droit d’auteur sur le territoire, son envergure d’action reste très limitée. Ainsi, le piratage est très fréquent et les artistes libanais, bien conscients de la situation, reportent le déficit induit par l’absence de revenus de leur sorties musicales sur la tenue de concert live. Ils ne promeuvent donc que très peu leurs produits (CD, singles, etc.) et comblent le manque à gagner en espérant les cachets les plus élevés.

 

>> Anghami est une plateforme de streaming fondée en 2011 au Liban par Elie Habib et Eddy Maroun. Instigatrice de la notion de service musical légal au Moyen-Orient, la plateforme compte aujourd’hui 78 millions d’utilisateurs. Anghami fonctionne sur 29 réseaux mobiles dans la région MENA et propose des abonnements quotidien, hebdomadaire ou mensuel. Face à la crise financière observée au Liban, l’entreprise, toujours détenue à hauteur de 32% par ses deux cofondateurs, a choisi de restreindre ses bureaux à Beyrouth au marketing et à la création de contenu, tandis que le pôle technologique se trouve, depuis 2021, à Dubaï. Le 3 février 2022, Anghami devenait la première entreprise tech du monde arabe à être cotée en bourse à New York.

 

Les artistes qui sont restés dans le pays pâtissent d’une situation qui ne leur est pas favorable. D’une part, la double explosion du port du 4 août 2020 ainsi que la crise financière ont poussé à la fermeture de beaucoup de studios d’enregistrement ; l’on estime le nombre de studios encore en activité à une dizaine seulement. Avant 2018, l’heure d’enregistrement était facturée entre 45 et 70 dollars aux artistes par les studios ; aujourd’hui, il est impossible de déterminer un prix fixe.

 

Pour créer un son, un chanteur a plusieurs possibilités :

● Il peut trouver quelqu’un pour lui enregistrer ses paroles sur une instrumentale libre de droits trouvée sur internet, ce qui lui reviendra à environ 300 000 livres libanaises ; 

● Il peut travailler avec un producteur de musique qui va composer une mélodie sur laquelle l’artiste va poser ses paroles et ensuite l’enregistrer. Aujourd’hui, un producteur libanais fait payer entre 300 et 400 dollars pour une chanson ;

● Il peut choisir de s’entourer d’une équipe, généralement composée d’un producteur, d’un compositeur, d’un ingénieur du son, d’un ingénieur de mixage et d’un ingénieur du mastering, et d’enregistrer ses chansons dans un studio d’enregistrement. Cette option coûte environ 5000 dollars, suivant le temps d’enregistrement et le volume de production souhaitée.

 

Les labels, quant à eux, sont toujours actifs dans le soutien des artistes libanais. L’on peut citer ici Rupture ou encore Thawra Records. Ils sont chargés d’aider l’artiste dans la réalisation de son projet, de lui trouver des financements, de gérer son image, de le distribuer. Mais rares sont les artistes à avoir signé avec un label au Liban : à titre d’exemple, sur une quarantaine d’artistes hip-hop au Liban, seul un est pris en charge par un label, et celui-ci n’est même pas libanais. Les artistes qui n’ont pas de label sont face à deux choix : soit ils décident de s’auto-produire de manière indépendante, soit ils trouvent un distributeur qui, contre 30% des revenus générés par l’artiste, va prendre en charge l’aspect marketing du travail et la distribution de sa musique sur les plateformes de streaming. Malgré tout, la diffusion sur ces plateformes (Anghami pour la région Moyen-Orient - Afrique du Nord, Spotify, Deezer, etc.) n’est que très peu rémunératrice : les artistes ne sont payés que 0,03 dollar par stream (comprendre par écoute).

 

 

CONDITIONS DE PROGRAMMATION ET DE DIFFUSION

 

Musique classique

Si les seules salles réellement destinées à accueillir un orchestre sont celles du Casino du Liban, du Palais des Congrès et du Palais de l’Unesco, la grande prédominance des églises et auditoriums universitaires comme lieu de concert des récitals de musique classique traduit un manque certain de site où les orchestres peuvent se produire. En outre, la crise sanitaire mondiale a fortement touché le secteur musical en ce qu’elle a rendu impossible la tenue de concerts et de tournées alors même qu’ils représentent l’essence de ce qu’est la musique. Si le secteur a trouvé un moyen de pallier les astreintes à travers le digital, notamment sur YouTube ou via des vidéos live publiées sur les réseaux sociaux, cette solution reste précaire et ne peut contenter le public.

 

Musiques actuelles
Les artistes doivent pouvoir trouver leurs propres équipements, leur public, ainsi que d’être en mesure de “se vendre” eux-mêmes sur les réseaux sociaux. La censure est également à prendre en compte pour les musiciens et chanteurs libanais : le pays a vu plusieurs fois des concerts annulés à la demande des autorités ecclésiastiques ou pour des raisons politiques (l’on peut ici mentionner l’exemple du groupe Mashrou’ Leila empêché de se produire au festival international de Byblos en 2019).

 

Concernant les festivals spécialisés en musiques actuelles, il n’en existe plus que deux au Liban : Irtijal et Beirut & Beyond. Au vu de la rareté de ces initiatives, Irtijal et Beirut & Beyond se posent désormais comme les défenseurs d’une création musicale diverse et de qualité. Alors qu’ils étaient originellement destinés à accueillir une musique que l’on pourrait qualifier d’expérimentale, cette orientation “de niche” ne peut plus être envisagée et les organisateurs s’attachent aujourd’hui à proposer leur scène à tous, afin d’aider au mieux la production musicale libanaise. En outre, Irtijal s’est dernièrement imposé en ONG : à travers une mission de soutien à la production des artistes sur scène et grâce à des workshops organisés avec l’Unesco pour aider financièrement les musiciens, le festival fait désormais office de réelle instance de soutien pour le secteur de la musique au Liban.

 

Concernant la musique électronique, la destruction des clubs emblématiques de Beyrouth suite à la double explosion du port du 4 août 2020 a laissé un vide sur le marché qui a permis à des collectifs itinérants de s’imposer. Cela a entraîné un renouveau de la scène house et techno, qui a retrouvé un élan innovateur de qualité. Pareillement, les DJ locaux sont désormais plus sollicités car il est devenu quasi impossible de faire venir des artistes de l’étranger.

 

 

PUBLICS


Musique classique

Depuis la fin des confinements, en juin 2021, la demande de concerts et événements musicaux est très importante. Le public semble être au rendez-vous, d’autant plus qu’un effort considérable est fait pour assurer une gratuité ou des prix dérisoires à une population dont le pouvoir d’achat a été considérablement ébranlé. Cette situation, si elle mène à une précarité monétaire toujours plus importante pour les artistes, leur permet en revanche d’assurer la continuité de leurs activités.

 

Musiques actuelles

Globalement, l’offre est essentiellement concentrée à Beyrouth, et ce d’autant plus en ce qui concerne la scène house et techno. Seuls quelques événements sont organisés par les collectifs de musique électronique en région durant l’été, le plus souvent autour des grandes stations balnéaires. Seulement, beaucoup de jeunes libanais ont quitté le pays, faisant drastiquement baisser le nombre d’entrées. Ainsi, l’on observe une nette hausse de la fréquentation des clubs durant les périodes qui correspondent aux vacances de la diaspora (l’été et Noël), car ces expatriés reviennent au Liban, tandis qu’il est plus compliqué d’attirer un large public pendant l’année.

Pour ce qui est des concerts, le public semble être au rendez-vous malgré une perte évidente, les manifestations rassemblent généralement entre 200 et 500 personnes chaque soir.

 

 

MODÈLES ÉCONOMIQUES

 

Musique classique

Les festivals et concerts de musique classique au Liban (Beirut Chants, le festival du Bustan et autres initiatives privées) ont toujours principalement fait reposer leur financement sur le mécénat. A partir de 2018, ils ont réussi, malgré l’arrêt des subventions par les banques, à trouver une certaine stabilité financière dans la collaboration avec l’étranger. Ils bénéficient de partenariats, de bourses des festivals internationaux et jouissent aussi de la générosité de la diaspora. Pour certains, cet important soutien leur permet d’assurer une gratuité de la manifestation, et donc un public important.

 

Musiques actuelles

La plupart des professionnels de la musique au Liban se voient obligés de trouver d’autres sources de revenus (souvent dans l’enseignement ou à travers des prestations pour des soirées, mariages, etc.) pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Les musiciens indépendants peinent à financer leurs productions, d’autant plus que l’enregistrement de musique est fortement complexifié à cause de la situation financière du pays car l’achat de matériel ne peut se faire qu’en dollar.

En ce qui concerne les clubs, la dévaluation toujours plus importante de la crise entraîne une difficulté à fixer des prix qui conviennent à la fois aux clients et aux artistes. Plus de 75% des coûts qu’implique l’organisation d’une soirée en discothèque sont à régler en dollar, tandis que les rentrées d’argent liées à la vente de tickets et de boissons sont faites en livre libanaise. Ainsi, les bénéfices liés à l’organisation d’une soirée ne permettent pas aux organisateurs de se rémunérer, car ils sont constamment réinvestis pour la tenue de futurs événements.

 

D’un point de vue général, la dépendance au financement privé, bien qu’elle constitue un palliatif à l’incapacité étatique, peut entraîner des dérives. D’une part, l’aspect commercial supplante parfois l’art, ce qui affecte alors considérablement la qualité de la production musicale, d’autre part, la rareté des bienfaiteurs pousse à une rivalité exacerbée et néfaste qui ne sert pas le secteur.

 

 

 

CONCLUSION SECTORIELLE
Après avoir étudié les différentes étapes de la création musicale, de sa production et de sa diffusion, il est possible de déterminer que les problématiques que le secteur connaît actuellement sont les suivantes :
●  Le manque de formation professionnalisante parmi les écoles et universités libanaises, ajouté à l’incapacité des musiciens à financer des études à l’étranger et le départ de beaucoup de musiciens classiques venus de l’international a entraîné une baisse drastique du niveau des orchestres au Liban ;

●  Les notions de droit d’auteur et de respect de la propriété intellectuelle sont trop peu respectées au Liban et posent problème aux artistes à la fois en ce qui concerne une juste rémunération de leurs travaux mais également vis-à-vis de l’exportation de leur art ;

●  L’absence de suffisamment d’infrastructures adaptées (salle de concert, studios d’enregistrement, etc.) complexifie le travail des chanteurs et musiciens libanais et contribue à la sous considération de leurs professions ;

●  Une décentralisation de l’offre est à envisager, en faveur d’une plus grande diversification du public ;

● Les artistes et organisateurs d’événements musicaux parviennent aujourd’hui à maintenir une certaine activité via des financements privés ou un principe d’auto-suffisance de leurs entreprises. Seulement, ces modèles économiques présentent des limites : d’une part, ils créent un climat de concurrence qui peut nuire au développement artistique, de l’autre, ils ne leur permettent que très rarement de se rémunérer.

 

 

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En partenariat avec la Robert Matta Foundation

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