Combien la terre impacte-t-elle les hommes ? Combien les hommes, sur leurs visages et leurs corps, ressemblent-ils à la terre qu'ils occupent ? Cette terre, jamais identique, qui porte sur elle l’âme des peuplades et la mémoire de ces êtres. Ce sont les questions que pose Omran Younis dans cette exposition.
La terre qui environne l’artiste est traversée de plantes étranges, épaisses et galbées. Elles évoluent dans des espaces arides et désertiques ; et survivent pourtant, bien droites, formant même des branchages et des fruits. Par-dessus tout, elles sont remplies du trésor qui manque cruellement dans ce milieu : l’eau. Ce sont les cactus.
Ces piliers de vie, ces cactus ancestraux sont en réalité des forêts de symboles. Avec la résistance dont ils font preuve, l’artiste rappelle l’endurance, l’intelligence, la ténacité du vivant à battre, à pousser, à revenir. Et qui, à l’instar du cactus, même en milieu désolé, arrive à y puiser les moindres gouttes pour donner de suaves fruits.
Du point de vue plastique, l’exposition est divisée en deux parties. D’une part, les peintures caractérisées par le travail en relief, sur du carton ou du jute, avec des couches épaisses de matière qui viennent s’agglutiner. Il en ressort une forte sensation de vie et de mouvement. L’artiste semble alors en danse harmonieuse et intime avec la matière : il pose, elle agit.
L’autre partie est composées d’œuvres sur papier et dessinées au charbon. Le fusain semble ici s’être consumé pour donner naissance à la pièce. Elle se trouve alors davantage dans la profondeur, dans le creusement que la hauteur.
On y voit sa mère. Qui comme toutes mères a été ce cri de vie, cette accroche désespérée au don de soi. Cette mère que l’artiste élève en déesse est marquée par le temps. Les méandres du long fleuve qu’est sa vie ont poli cette peau en même temps que de la sculpter. C’est ce que nous confie Omran Younis : on ne peut faire sans le Temps Ciseleur. Il viendra, quoi qu’il advienne, camper ses desseins sur nos chairs.
Certains vivants, plus enfouis peut-être dans la terre, pour s’y appuyer, y plonger leur être, pourront ensuite s’élever. Comme la face antique de cette mère kurde, traversée d’épines de cactus, formant ses angles. Autant de marques formées par les coups de la vie, et devenues des forces.
Les autres dessins au fusain représentent des êtres au sol, seuls, groupés, puis se cactufiant lentement. Ils ne sont pas sans rappeler les dessins illustrant la vue dans les camps d’extermination.
Au premier stade, on semble reconnaître la tétanie qui précède les morts brutales. Le corps est resté bloqué sur un cri strident. Et pourtant… Les images ne sont pas tant tristes que puissantes. Le processus les conduisant au cactus, nous fait songer à l’immortalité atteinte par ces êtres dans l’expérience totale. L’environnement est à jamais changé par leurs présences et transformations.
Primo Levi, l’auteur de Si c’est un homme, contant sa réclusion dans les camps, avouait à la fin de sa vie, sa satisfaction face aux évènements l’ayant impactés. Non point qu’il se réjouisse de la mort et de la destruction. Mais plutôt que l’intensité, l’effroi, l’extraordinaire violence rencontrés l’ont poli, l’ont fait enfoncer plus profond ses racines et lui permettent d’être bien plus qu’il n’aurait jamais été.
Peut-être est-ce le même message que l’exposition nous murmure. La souffrance est chose dure, inconciliable, abyssale. Mais quand elle est explorée, contemplée, incarnée et assumée, alors elle devient résistance et puissance. La puissance que nous montre Omran Younis n’est pas dans le mensonge et le refus de la peur, mais dans l’acceptation des éléments et du destin, du vent qui nous affine, de l’eau qui nous lisse. Et la contemplation et l’incarnation de ces peurs. En creusant le fusain, en prenant la hauteur de la matière accumulée, nous verrons ce qu’il y a vraiment là où nous étions, quelques instants auparavant. Et alors, cela nous paraîtra petit et le monde nous sera vaste.
Humble et puissante, l’exposition parle pour elle-même.
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