Lecture 4 : La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mboughar Sarr, Prix Goncourt 2021
11/01/2022|Gisèle Kayata Eid
Pour l’amour de l’écriture
C’est un gros livre dans lequel son auteur cherche les traces d’un écrivain maudit « T.C.Elimane ». Mais attention, ne vous laissez pas prendre à le chercher avec lui … c’est un piège.
Ne tournez pas vite les pages pour voir si enfin le jeune Sénégalais débarqué à Paris va pouvoir retrouver l’auteur énigmatique qui le hante. Laissez-le à sa quête et vous, lecteur, prenez tout votre temps pour déguster cette pièce d’anthologie dédiée à l’écriture. Vous y trouverez tant de belles réflexions sur les écrivains, la littérature, la jouissance ou la douleur d’écrire. Attardez-vous sur l’exubérance du jeune trentenaire qui en est à son quatrième ouvrage. Prenez plaisir à savourer les tournures bien ficelées, les scènes fantastiques qui tourbillonnent, les légendes africaines extraordinaires et l’allusion aux douces-amères relations franco-africaines. Goûtez au bonheur de retrouver des mots savants peut-être mais si riches de la langue française que ce Sénégalais châtie à merveille. Parcourez ce thriller palpitant qui vous kidnappe en dégustant l’esprit kaléidoscopique de son auteur qui exprime sa quête existentielle avec tant de subtilité, finesse, intelligence et un souffle à couper le vôtre.
Je vous laisse avec ces quelques lignes du livre, tirées si difficilement de ce flamboyant ouvrage de 461 pages, car chaque page révèle des perles à lire, relire et relire encore pour mieux en jouir.
« Un grand livre n’a pas de sujet et ne parle de rien, il cherche seulement à dire ou découvrir quelque chose, mais ce seulement est déjà tout, et ce quelque chose aussi est déjà tout. »
« C’est ça notre vie : essayer de faire de la littérature, oui, mais aussi en parler, car en parler est aussi la maintenir en vie, et tant qu’elle sera en vie, la nôtre, même inutile, même tragiquement comique et insignifiante, ne sera pas tout à fait perdue. »
« Mais pourquoi continuer, tenter d’écrire après des millénaires de livres… On ne savait pas ; et là était peut-être notre réponse : nous écrivions parce que nous ne savions rien, nous écrivions pour dire que nous ne savions plus ce qu’il fallait faire au monde, sinon écrire, sans espoir mais sans résignation facile, avec obstination et épuisement et joie, dans le seul but de finir le mieux possible, c’est-à-dire les yeux ouverts : tout voir, ne rien rater, ne pas ciller, ne pas s’abriter sous les paupières, courir le risque d’avoir les yeux crevés à force de tout vouloir voir, pas comme voit un témoin ou un prophète, non, mais comme désire voir une sentinelle.»
Prix Goncourt 2021 : La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mboughar Sarr, co-édition franco-sénégalaise Philippe Rey et Jimsaan
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