Le goût des histoires, le sens de l’observation, les descriptions minutieuses, l’intérêt aux choses de la vie, aux couples qui se font et défont « quand les rouages se grippent » … Il n’en faut pas plus pour susciter l’envie d’amorcer un roman qui va se dérouler tranquillement sur 100, 200, 300 pages et bien plus parfois. Mais quand on se contente de quelques pages pour raconter un drame, une vie qui se défait, une passion qui s’éteint, une toquade qui s’incruste, un regain d’intérêt… Tout ce qui nous fait croire au bonheur, à l’amour, au mariage… l’exercice se corse et les élus de ce genre littéraire difficile se font plus rares.
Frank Courtès en est l’un d’eux. Ce fameux portraitiste des célébrités qui, après 20 ans de métier, a troqué sa caméra pour la plume. Dégoûté par son ancien métier qui l’a pourtant rendu célèbre, l’auteur de ce bijou de recueil de quatorze nouvelles adopte en littérature la même technique que pour la photo : « sculpter l’âme des gens ».
Le résultat est surprenant. Est-ce son sens du détail, le fait d’avoir découvert le monde, de partager sa vie entre Paris et la campagne ou cette propension à se laisser émouvoir par des séparations, attrister par des deuils, emporter par des rages de vivre, laminer par des échecs ? Autant de cas de figures que l’auteur manipule avec ce matériau infini qui est sa véritable passion, l’écriture, pour tricoter des nouvelles qui parlent de ces couples contemporains qui s’attirent, s’affrontent, se blessent, se reconstruisent…
Des couples déchirés, amoureux, blasés ou ingénus liés par deux thèmes : l’insoluble question du bonheur dans l’amour et le crépuscule de la passion. Le tout écrit comme avec un pinceau, après avoir pris le temps de noter les plus petits détails : « en photographie comme en littérature, les détails bien orchestrés fournissent un sens général », en prenant le soin de ciseler des phrases bourrées de sens : « Deux naufragés ne peuvent s’aider. En s’appuyant l’un sur l’autre, ils précipitent leur noyade », et en nous réservant des chutes magnifiques : « Ça m’a toujours intrigué, ces poissons qui font du surplace malgré le courant. On se demande toujours s’ils ne sont pas déjà morts ».
Des pages dans lesquelles beaucoup de personnes pourraient se retrouver ou retrouver des couples qu’ils connaissent : « Depuis ce jour du mariage, comme chez beaucoup de gens, on ne parlait plus d’amour. On s’aimait, mais on n’en parlait plus… On n’avait pas les mots. On ne le montrait pas non plus. Sans doute parce que ça allait de soi. C’était une évidence, ça avait été signé devant le curé, à la mairie, pas besoin d’y revenir. D’avoir fait la fête pendant deux jours avec les copains, la famille en costard, d’avoir toutes ces images où on s’embrassait devant cet imbécile de photographe, ce n’était plus la peine de jouer aux amoureux. Tout le monde avait eu la preuve sur papier glacé. Nous avions repris le travail, le lendemain et nous n’avions plus reparlé d’amour. »
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