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Le dernier conseil de Beethoven au Festival al-Bustan : « Aimer la liberté par-dessus tout »

11/03/2020|Alain E. Andrea

Suite au décret du ministère du Tourisme du 9 mars 2020 suspendant toutes les activités musicales et culturelles au Liban afin de faire face à la propagation rapide d’une éventuelle épidémie du Coronavirus, le Festival al-Bustan s’est vu contraint d’annuler ses 6 derniers concerts, du 11 au 22 mars 2020, de cette saison consacrée exclusivement à Beethoven. La présidente et le comité du prestigieux festival ont, toutefois, annoncé dans un communiqué, que « pour ceux qui le souhaitent, les billets pourront être remboursés dans toutes les branches de la librairie Antoine. Les billets achetés au bureau du festival seront remboursés au bureau même. Merci d’avoir été si nombreux à répondre présent à cette 27e édition ‘Beethoven’ et d’avoir partagé de grands moments avec nous. »

 

Goethe déclare un jour que « la dignité de l'art apparaît peut-être à son plus haut degré dans la musique, parce qu'elle n'a point de matériaux dont on soit obligé de tenir compte. Elle est toute entière forme et fond. D'ailleurs, elle élève et anoblit tout ce qu'elle exprime. » On ne s’étonnera, dès lors, pas de voir Beethoven pour qui cet art est « une révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie », mettre en musique les textes de ce penseur allemand dont Le Roi des aulnes (comme Schubert d’ailleurs en 1815), Mer calme et heureux voyage (également illustrée musicalement par Mendelssohn en 1828) mais aussi Egmont, l’idéaliste goethéen à la foi inébranlable. Le Festival al-Bustan a voulu, vendredi dernier, apporter, une dernière fois, du baume au cœur du pays des Cèdres, fissuré gravement par des partis qui s’engagent depuis des années dans des bras de fer et dont aucun n’arrive à en sortir gagnant, en interprétant Egmont, ce chef-d’œuvre allemand glorifiant la liberté au prix de la mort. La Camerata de Salzbourg, avec Jérémie Rhorer au pupitre de chef d’orchestre, accompagnant la soprano autrichienne à la voix séraphique, Christina Gansch, s’est chargée de restituer fidèlement ce drame lyrique dont l’interprétation a été fort appréciée par le public qui n'a pas été, pour cette première partie du concert, avare d'applaudissements. Après un entracte de vingt minutes, l’orchestre de chambre s’est attaqué à la Pastorale de Beethoven, un hommage à la nature consolatrice tant chérie par un compositeur « couché dans l’herbe, les yeux au ciel, l’oreille au vent », comme l’eut décrit Berlioz.

 

La noblesse d’un pathos 

Armée de sa voix cristalline, la soprano autrichienne Christina Gansch a exécuté, avec aisance et élégance, les passages les plus escarpés de deux monuments beethovéniens où son interprétation se faisait encore plus saillante. A peine la première pièce vocale achevée, un tonnerre d’applaudissements a crépité dans l’Auditorium Emile Bustani, en réponse à la splendeur de l’aria Hier schlummert seinen stillen Frieden (Ici réside sa paix silencieuse) tiré de la Cantate sur la mort de l’empereur Joseph II, avec lequel la soprano ouvrait le récital. Cette œuvre méconnue de Beethoven pour orchestre et voix –la première du compositeur allemand– composée, à l’âge de 19 ans, afin de célébrer la mémoire du défunt souverain, réserve trois de ses sept mouvements à la voix de soprano et dont Gansch a choisi d’en chanter le sixième. Ce chef-d’œuvre beethovénien, qui n’a jamais été joué du vivant du compositeur, fut interprété pour la première fois en 1884 soit 57 ans après sa mort et « même s’il n’y avait pas de nom sur la page de titre, on ne pourrait parier pour un autre – tout est entièrement de Beethoven ! La beauté et la noblesse du pathos, le grandiose du sentiment et de l’imagination, la conduite des voix, la déclamation ! », affirmait Brahms. Ce n’est que quelques dizaines de secondes après que retentit l’une des plus célèbres ouvertures de l’architecte des sons divins, Egmont, marquée par un Sostenuto ma non troppo et où les premières notes sombres, à l’unisson de l’orchestre, résument le cours du drame. L’ambiance passe, par la suite, à une défiance héroïque, avec un Allegro vigoureux regorgeant de mélodies lyriques dont le caractère poignant, assurant clairement une tragédie imminente, n’offre aucune liberté face au destin. Le « motif du tyran » évolue tout au long de l'ouverture et vers la fin devient assez rythmique et sombre et aboutit à l'exécution d'Egmont. Son amante, représentée par un ensemble de mélodies très lyriques, promet, au cœur même de ce drame, que sa mort alimentera une révolte ultérieure. L’atmosphère de la pièce devient alors triomphante et festive, offrant une fin glorieuse dont Beethoven fait écho à la fin de la pièce en tant que « symphonie de la victoire » dans laquelle l’ambassadeur autrichien, Marian Wrba, se chargea de lire les paroles, accompagné par la Camerata de Salzbourg.   

 

La symphonie de la nature

Enfin vint le tour de la sixième symphonie, la Pastorale, que Beethoven compare, dans le sous-titre de l’épigraphe de son manuscrit, à « un souvenir de la vie rustique, plutôt émotion exprimée que peinture descriptive ». Dans son livre de Souvenirs sur Beethoven, Schindler raconte une promenade qu’il aurait faite avec le compositeur, en 1823, durant laquelle ce dernier lui dévoile les secrets de la création de sa Pastorale: « Nous traversâmes Heiligenstadt et sa gracieuse vallée, puis nous franchîmes un ruisseau limpide, qui descend d’une montagne voisine, et au bord duquel croissent des ormes encadrant le paysage (…) Beethoven reprit alors : “Ici j’ai écrit la scène au bord du ruisseau, et là-haut les cailles, les loriots, les rossignols et les coucous, l’ont composée avec moi”». Ce sont, effectivement, les mêmes éléments de la nature qu’on retrouve dans la pièce sous la forme d’une succession de triades majeures alors que l’accord de septième diminuée sera réservé à « l’orage » du quatrième mouvement. Comme, dans la « symphonie du destin », le premier mouvement tire toutes ses idées mélodiques du tout début de l’œuvre où l’on peut repérer, à travers l’interprétation de la Camerata de Salzbourg, au moins quatre motifs du thème d’ouverture. Ceux-ci se répètent tout au long de ce mouvement sans entrainer la moindre fatigue ou ennui chez le public, justement grâce à cet hommage aux couleurs et textures orchestrales soigneusement planifiées et variées par Beethoven, et remarquablement mises en relief par Jérémie Rhorer. Juste avant la fin de ce mouvement, le talentueux clarinettiste de l’orchestre de Salzbourg prend, tout seul, son envol sur des arpèges triolets, une signature rythmique initiée préalablement par un ensemble d’instruments à vent dont le basson. 

 

Rhorer aborde, ensuite, le deuxième mouvement marqué par le murmure de fond des violoncelles aidés par les seconds violons et les altos, alors que les premiers violons et les bois embellissaient le flux mélodique par leurs gammes et leurs trilles qui laissaient entendre le courant d’eau, le chant symphonique de nombreux oiseaux dont le rossignol, la caille et le coucou (interprété par la flûte, le hautbois et la clarinette respectivement, d’une façon très marquée à la fin du mouvement), et les feuilles bruissantes. Des enfants sourds, tout comme Beethoven, avec le danseur chorégraphe Pierre Geagea, de l’institut IRAP se sont chargés de reproduire, ingénieusement, ces figures musicales dans une danse dédiée à la nature. La Pastorale, cette unique symphonie à 5 mouvements, se poursuit dans un troisième mouvement représentant les villageois en train de danser et de se délecter, mais qui ne tarde pas à véhiculer une atmosphère tumultueuse avec un tempo plus rapide et à se terminer brusquement, conduisant sans pause au quatrième mouvement. Dans ce dernier, les trombones et les timbales apparaissent pour la première fois, auxquels se joint le piccolo au plus fort moment de la symphonie qui dépeint minutieusement un violent orage, depuis les premières gouttes de pluie jusqu’à la grande foudre. « Alors les trombones éclatent, le tonnerre des timbales redouble de violence ; ce n'est plus de la pluie, du vent, c'est un cataclysme épouvantable, le déluge universel, la fin du monde », décrivait Berlioz dans son ouvrage « A travers chants » publiés en 1862. La symphonie se termine, sur un cinquième et dernier mouvement, avec l’hymne d’action de grâces des paysans après le retour du beau temps. « Le calme renaît, et, avec lui, renaissent les chants agrestes dont la douce mélodie repose l'âme ébranlée et consternée par l'horreur magnifique du tableau précédent ». 

 

Une fois achevée, un applaudissement plutôt timide se fit entendre avant qu’il ne prenne, comme une vague entraînante, de l’ampleur. Le public libanais avait peut-être, et comme d’habitude, préféré applaudir aux mauvais moments, entre chaque mouvement, et quitter la salle de concert à la seconde même que les deux derniers accords en fa retentissaient aux quatre coins de l’Auditorium Emile Bustani. Quoi qu’il en soit, ce concert ainsi que les huit autres de cette saison se sont, malgré quelques bémols, majestueusement inscrits dans les annales. « Nous vous donnons rendez-vous en 2021 », conclut Laura Lahoud, vice-présidente du Festival, dans son communiqué.      

         

 

 

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