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Le bac à sable de Lily Abichahine

13/07/2023|Camilla Mina

L’Agenda Culturel rencontre Lily Abichahine lors du dernier weekend de l’exposition « Allô,Beirut ? » à Beit Beirut. Son installation artistique « Abjad Hawwaz : How I was Destroyed by a Mall Thrice » incorpore un bac à sable à mécanisme. Il y également une voix, un enregistrement autobiographique de son histoire ainsi que celles des personnes interviewées par elle. Le spectateur est alors libre d’associer le visuel à sa propre imagination. 

 

Des lieux et des souvenirs 

En seulement quelques mois, l’école d’enfance de Lily Abichahine a été effacée, pour être remplacée 20 ans plus tard par un centre commercial, en 2016. L’école où elle est envoyée ensuite, avait déjà vu ses jardins et le club sportif voisin devenir pareillement un centre commercial, le même d’ailleurs, en 2003. Entre ces deux dates, exerçant en tant qu’avocate en cabinet, Lily est au courant du projet de centre commercial, qui verra ses portes ouvrir en 2016, sans vraiment comprendre que le lieu de sa construction est la géante parcelle de terrain vide où son école d’enfance a été démolie un jour en 1996…. Partant de son histoire personnelle, celle de son école, le Carmel Saint Joseph, elle tente de recréer le bac à sable de la cour de récréation de son enfance. Symbole d’une ville en constante construction et déconstruction, l’installation aborde un sentiment d’absence de fondement et tente de préserver la mémoire grâce à l’enregistrement de l’histoire orale. Son installation soulève l’importance de la mémoire des lieux et l’impact du changement architectural et fonctionnel dans la ville. 

 

« C’est important de ne pas oublier, de marquer les évènements. J’ai senti qu’il fallait honorer la mémoire de l’endroit. (…) Ce n’était pas n’importe lequel pour l’enfant que j’étais... C’est thérapeutique, de se rendre compte que je ne suis pas la seule, qu’il y a d’autres gens qui donnent de l’importance aux lieux, et de comprendre que le travail de mémoire collective, de mémoire d’un pays, commence par un travail de mémoire(s) individuelle(s), par petites briques des mémoires de chacun, celles de ce coin de Beyrouth, de son jardin public de la colline aux citernes d’eau - Tallet El-Khayyat - etc. Et pour moi, l’enfance est très importante, c’est cette période de notre vie où tout nous marque, ou nous sommes façonnés, j’ai été façonnée par l’absence… »

Un long travail de recherche

Son travail est minutieux, d’une part la gestion d’un élément complexe comme le sable pour la création de ce paysage, mais aussi à travers le travail de recherche et de 50 entretiens approximativement, des témoignages réalisés avec des anciens élèves, des voisins, et des personnes qui connaissaient ou vivaient près de l’école démolie. Les enregistrements sont placés autour du bac à sable pour que les visiteurs puissent les écouter. Lily Abichahine, nous explique que la plupart de ses entretiens ont duré entre une et deux heures, desquels elle avait choisi 5 à 15 min à partager avec le public et qu’ils seront retranscrits sur un site web, dans une étape future ce même projet, son souhait étant d’agrandir cette mémoire collective à travers plus de témoignages, pour que tout le monde puisse raconter sa propre histoire. De plus, cette installation a été l’occasion pour créer un manuel technique pour installer et désinstaller son bac à sable.

 

À travers ce chaos et ce paysage délavé et dénudé, il y l’espoir de trouver le calme, un moment de réflexion. Le bac à sable qui relève davantage de l’esthétique d’un chantier est mécaniquement conçu pour ériger, en suivant une chorégraphie chronométrée, 11 sculptures qui sont les matériaux de construction primaires dispersés dans le sable. 

« L’idée c’était surtout de monter un paysage de sable mouvement. Pour moi c’était en fait une sorte d’obsession visuelle de ce que serait ma ville, il y a cette idée de changement dans la répétition infinie, j’ai voulu donner un aspect physique et visuel à cela (…) J’ai voulu offrir un paysage quelque part hypnotique au spectateur ». 

Suite à la fin de l’exposition « Allo, Beirut ? », elle aimerait se dédier à la création’ un site d’archive orale mais aussi de mettre en scène son enregistrement audio. Cette tâche résultera dans une performance, un « storytelling », pour « raconter l’histoire a qui ne l’a pas connu et en reparler à qui l’a connue pour ne pas l’oublier ». 

 

À propos de l’artiste

Née en 1985, Lily Abichahine a grandi à Beyrouth. Elle est diplômée de la faculté de droit de l’université de Saint Joseph et a travaillé à Beyrouth et à Paris en tant qu’avocate et consultante. Elle obtient sa licence en Arts du spectacle en 2018 et son Master en 2020, de l’Université Paris VIII. Son mémoire et sa première création « Narrations Chorégraphiques : Fragments d’un Corps en Course » propose une analyse de la course à pieds comme geste esthétique. Sa pratique artistique confronte des questions juridiques à des récits fictifs dans un format de conférences-performances, comme dans, « Exquisite Corpse » (2021) présentée en première à Francfort, en Allemagne. Dans le cadre de son projet « Mare Nostrum » (depuis 2021 - en cours), elle travaille entre des villes méditerranéennes, contemplant leurs réalités comme l'expression fondamentale de leur inconscient collectif. Elle se réfère à leurs mythes, les réinterprète sur scène, en traçant des connexions entre les villes et en soulignant les liens invisibles qui sous-tendent le contexte méditerranéen. Son installation « Abjad Hawwaz : How I was Destroyed by a Mall Thrice » (2022) aborde la question de l'urbanisme de Beyrouth dans le contexte de la reconstruction d'après-guerre. Sa pratique est multidisciplinaire, vouée à l’étude des mythes, de l'histoire de l'art, de l'archéologie, à travers le prisme du droit. Elle questionne les problématiques de généalogie, de patrimoine et de la mémoire collective.

 


Abjad Hawwaz : How I was Destroyed by a Mall Thrice, 2022

Installation : « Allo, Beirut? », Beit Beirut 

Concept, Design et Texte : Lily Abichahine
Consultants ingénieur mécanique : Ali Kain, Tilman Grünewald

Ingénieur son : Ziad Moukarzel
Assistants projet : Nour Abdelbaki, Soraya Salwan Hammoud 

Technicien : Mohammad Abou Khalaf

Site web: https://lilyabichahine.wordpress.com/practice/ ; https://www.beitbeirut.org/english/

Contact : abichahinel@gmail.com

 

(Photo : @Ahmad Kamh/ Postray Beirut)

 

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