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La parole est un acte

26/10/2019|Gérard Bejjani

120 battements par minute. Le jour et la nuit.
Chaque minute est faite d’audace et de peur. Mais je préfère l’audace à la peur.
Chaque minute est faite d’espoir et d’angoisse. Mais l’espoir me porte.
Chaque minute est faite de silence et de parole. Mais le pays aujourd’hui a besoin de nos mots. Pas n’importe lesquels. Des mots forts. De soutien. De confiance. De solidarité. D’amour.
La parole est un acte. Pour qui connaît Roland Barthes. Et les chevaliers de la foi.
« Chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi » nous prévient Sartre. Si nous nous taisons en ce moment d’intense réveil, c’est que nous laissons faire, c’est que nous acceptons de vivre humiliés dans notre intelligence, dans notre humanité. Se taire, c’est tirer notre épingle du jeu. La tentation de l’irresponsabilité. Les Recteurs des Universités ont parlé. Ils se sont engagés en faveur de l’« authentique sursaut national, le plus grand mouvement unificateur depuis 1943 ». Le Patriarche et le Cheikh ont parlé. Ils ont demandé au Gouvernement de ne plus ignorer la souffrance du peuple libanais, sa faim, ses sacrifices. De respecter la démocratie et nos droits les plus légitimes.
D’autres gardent le silence. Par méfiance, par prudence, par calculs, par intérêts, par faiblesse, par orgueil. Par peur du chaos, de l’après, de la guerre. Pourquoi le pays n’était-il pas déjà dans le chaos ? Sauf que l’on préférait se mentir, travestir notre désarroi, faire semblant.Trouver des compensations. Sans électricité, sans eau, sans canalisation, sans routes, sans infrastructure. Pactiser avec la pourriture d’en haut, la présidence et son gouvernement. La puanteur partout. Même nos plages, nos mers, nos rivières en sont salies. Les déchets jetés à nos figures une fois, puis deux fois, puis mille fois. Nos forêts ont brûlé. La terre elle-même se révolte. La corruption s’est répandue comme la peste dans notre quotidien, dans nos relations, elle est devenue incompétence, habitude, monnaie courante. Alors dites-moi, n’était-ce pas cela le chaos ?
Le miracle d’octobre, c’est que le peuple mis à genoux a décidé de se relever. Il ose enfin, il parle, il balaie, il nettoie, il réclame justice. Il veut « casser le fil » de la violence et des différences. Nous sommes tous égaux devant le destin.
Et je comprends soudain pourquoi nous sommes tous si remués. Ce qui se passe dans la rue est un véritable travail de mémoire. Notre pauvre mémoire longtemps manipulée par les slogans ou empêchée dans les livres d’histoire. Pourquoi sommes-nous entrés en guerre, qui a tué, qui a assassiné, qui a trahi ? Pourquoi nos pères n’ont-ils pas empêché l’horreur, qu’ont-ils fait ? Nous ne l’avons jamais réellement su. Ou voulu savoir, voulu voir la vérité. Leur irresponsabilité qui, hélas, se répète.
Aujourd’hui si, au pire, la guerre revient, ou l’oppression, ou la corruption, si les saigneurs demeurent sur leurs trônes pourris, nous aurons échoué, mais au moins nous aurons essayé, agi, notre conscience sera sauve. Nous serons entrés dans la guerre ou dans la mort, les yeux ouverts.
Si, au mieux, le Liban se redresse, plus beau, plus propre, plus glorieux, nous l’aurons porté au monde nous aussi. Deux fois né. Mille fois ressuscité. Le Liban du Cantique des Cantiques. Nous aurons été la fiancée du Liban, comme ces femmes qui se sont tenu les mains hier face aux armes, qui ont crié leur désespoir, le nôtre, qui se sont mises, elles, au premier rang pour protéger leur peuple. Nous aurons été elles et elles auront été nous, tous responsables. Et toute personne qui n’est pas solidaire avec ces femmes, au moins en pensée, est responsable du contraire.Àelles, à toutes les femmes, à toutes les mères, à toutes mes sœurs, la matrie reconnaissante. Nous n’avons plus rien à perdre. Il faut espérer. Et le monde, dit André Gide, « ne sera sauvé, s’il peut l’être, que par des insoumis ».
 

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