Fallait pas m’impatienter. Fallait pas calculer le temps. Fallait pas faire des plans. Fallait pas me plaindre. J’ai tout fait juste.
J’ai occupé mes heures. J’ai laissé couler les journées. J’ai regardé les arbres germer (si peu, si peu). J’ai écouté les oiseaux. J’ai médité sur le sens de la vie. J’ai écouté de la musique. Lu des analyses de philosophes. J’ai tout fait juste.
J’ai oublié ma teinture. J’ai fais de la gym. J’ai laissé ma peau respirer. J’ai ôté mes bracelets par précaution. J’ai cuisiné avec amour. Je me suis détendue avec des téléséries jusqu’à m’en saouler. Jusqu’à en perdre le sens du réel. J’ai tout fait juste.
Mais rien n’est juste.
Le monde ne respire plus. Il est en apnée. Les rues ne sont plus calmes. Elles sont mortes. Les enfants ne piaillent plus. Ils sont tenus à distance. Les experts ne le sont plus. Les vieux tremblent et moi je ne sais plus quoi penser. Je ne veux plus penser. Je vis les manques comme jamais auparavant.
Me manque l’attente des festivals. L’animation des concerts. Le papotage sur les plages engorgées de soleil. Le verre de vin partagé. La bière animée des bistrots. Les accolades des retours. Me manque tout ce à quoi je n’ai pas le droit de rêver.
Alors que les environnementalistes, les religieux, les collapsologues, les Nostradamus de tout poil récupèrent la catastrophe planétaire, Edgar Morin a eu cette phrase-phare : « Dorénavant il faudra apprendre à vivre dans l’incertitude ». Du lendemain, des jours de gaité, de l’insouciance, des repas animés, des retrouvailles, du projet concocté, de la création étouffée. Du salaire rêvé. L’incertitude. Un mot douloureux. C’est comme une chape, réelle cette fois, qui nous rappelle notre finitude qui peut advenir à tous les coups.
Je regarde mes vêtements alignés sagement. Mes livres fermés. Les chaussons des enfants casés qui seront trop petits bientôt. Même mes mots se sont rangés. Dire quoi encore ? Pour qui ? Nous sommes tous abreuvés de vide, jusque dans la tête. Seuls y résonnent à satiété, des mots qu’on ignorait encore il y a quelques semaines : confinement, distanciation sociale, respirateurs, pic, pandémie… Avec en background la question qui tue : jusqu’à quand ? Même une date proche ne nous désaltère plus. Comment vivre avec la menace que tout est suspect, que tout peut flamber, que tout peut basculer ?
Alors ? Il n’y a ni alors, ni morale à cette page. Elle est suspendue, comme nos vies. Elle partage vos angoisses, vos doutes, vos lassitudes, votre épuisement, dans l’espoir qu’elle partage aussi ma profonde conviction qu’il n’y a de vie que dans le mouvement et que son balancier est plus fort que tout.
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