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J’ai rendez-vous avec Claudia Marchalian

01/05/2020|Gisèle Kayata Eid

Peut-être son nom a glissé inaperçu dans vos journées de confinement, mais certainement pas ses télés-séries qui se succèdent en ces temps d’écrans intensifs. Pour les non-habitués aux feuilletons libanais, c’est celle qui s’est glissée 120 soirs dans nos salons (jusqu’à il y a une semaine) nous raconter l’histoire de l’amour impossible de Farès et de Yasma, dans « Ana ma fiye » (« Je n’y arrive pas »). C’est encore elle qui nous tient en haleine ces jours-ci dans la quête enragée de Daniaà venger sa sœur, morte sous les coups de son mari violent, dans « Ana Berdani » (J’ai froid).  Des titres simples, comme les histoires qu’elle nous raconte et qui nous donnent rendez-vous qu’on ne voudrait absolument pas rater.

 

Pourquoi ? Parce que Claudia Marchalian a le don de conteuse, mais aussi de fine observatrice de la réalité libanaise et surtout un grand amour de l’écriture.

Rejointe au téléphone, la scénariste qui a déjà produit des dizaines de téléséries diffusées au Liban et dans les pays arabesest plutôt difficile à interviewer. Tout lui semble tellement normal : l’écriture, l’imagination, les dialogues intenses, le suspense extrême, les rebondissements inattendus et surtout les sujets brûlants qu’elle ose attaquer avec courage et beaucoup de profondeur. Et c’est peut-être le plus de cette diplômée d’art dramatique de l’Université libanaise qui est à l’écoute du monde qui l’entoure et qui a le talent de le transcrire dans l’art -difficile- des séries télévisées.

 

Comment s’y prend-elle ? « Cela vient tout naturellement. Je commence à écrire et les péripéties viennent se greffer sur l’histoire de base. Bien sûr, le thème du scénario est bien défini. Je sais très bien où je veux en venir, mais c’est au fur et à mesure que j’écris que les enchaînements se font, toujours dans la même direction. »

Un travail de pro que l’on détecte dans l’antagonisme de base entre l’amour et l’honneur qui cimente ses propos, mais aussi dans la robustesse des dialogues. Les mots, réparties, tirades sont soigneusement choisis pour faire touche. Pas d’expressions creuses mais des conversations minimales qui propulsent le récit. Tout comme dans la fiction écrite. Sauf que celle qui a été actrice pendant 15 ans, ne s’est pas essayée au roman avant de se lancer dans l’aventure télévisée. Ses caractères, conçus pour des épisodes du petit écran (et qu’elle a appris durant ses études, puis à travers ses nombreux ateliers, internationaux notamment, à créer) donnent vie mais surtout consistance à des entités à part entière qui ont leurs propres ambitions, réactions, attentes, déceptions… « J’ai beaucoup étudié la psychologie durant quatre ans et, bien entendu, cela se reflète dans mon approche ».

 

C’est probablement ce qui est attachant dans le travail de celle qui fut la directrice de Star Academy de 2013 à 2016 : les personnages sont authentiques et cohérents. On les retrouve avec plaisir comme on retrouverait un vieil ami qu’on connaît et dont le sort nous intéresse.

Outre les techniques de base qu’elle maîtrise, la récipiendaire de plusieurs prix dont le Murex d’or pour le meilleur scénario en 2011, est très attentive au pouls de la vie libanaise. Dans la foulée des « moussalssal » projetés, c’est cet aspect qui rend ses œuvres particulièrement intéressantes. Son inspiration est bougrement puisée dans la société libanaise : la virulence des préjugés, les non-dits familiaux, les mentalités des gens de la ville versus celles de la montagne, les rapports œdipiens mère-enfant, l’importance du jugement des autres, la réalité sur le terrain… C’est quasiment à une étude de comportement social qu’elle nous invite à travers le choix de ses sujets, la résolution des problèmes, les réactions des belligérants, leurs registres de langage, leurs vécus quotidiens.

 

Une des compétences de celle qui cumule les trois fonctions d’auteur, de scénariste et de dialoguiste est celle de nous faire partager les émois de chaque personnage qu’elle crée.  De nous les faire aimer. Il n’y a pas de « méchant » gratuit, ni de maman angélique, ni de femme honteusement adultère qui ne nous touche personnellement par son côté foncièrement humain. Ses téléspectateurs se retrouvent quelque peu dans chaque personnage, aussi violent ou abject qu’il soit… Un tour de passe-passe réussi qui nous donne toutes les raisons de nous émouvoir et de nous y accrocher.

Grosse bûcheuse, elle n’a pas arrêté de produire durant son confinement et travaille à toute heure du jour. Pas de rigueur, pas de contrainte, mais juste une inspiration, un désir ardent de créer encore et encore. « Ce n’est absolument pas difficile pour moi. Quand j’écris, je m’oublie, ça coule tout seul. J’écris les scènes comme vous les voyez ».

 

Un talent certes confirmé par la prodigalité de l’artiste prolifiquequi enchaîne feuilleton après l’autre et surtout succès après l’autre. Sans trop s’attarder sur ses réalisations, elle aura souvent cette réponse : « C’est normal ». Difficile pour elle de croire que ses téléspectateurs se posent des questions sur la technicité de son travail, sur ses rapports avec le metteur en scène, le producteur. Tout coule de source. « Non, il n’y a pas de problème. Quand il y a un différent, on négocie. On s’entend. »  

Nous ne saurons rien des chicanes internes, ni des tiraillements sur des points de vue contradictoires. Nous ne saurons pas non plus comment la distanciation recommandée devra se concilier avec les tournages : « Tout est normal, partout dans les pays arabes, on continue de tourner ».   Maîtresse de ses paroles, comme elle l’est de ses feuilletons, de leurs thématiques et de leur traitement, elle ne livrera rien des rouages internes de « fabrication » des téléséries. De quoi nous garder toujours en haleine, comme ces suspenses qu’elle distille à chaque rendez-vous, pour mieux nous fidéliser. Mais qu’importe… 

 

D’ailleurs je vais devoir abréger… Le feuilleton commence.

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