Implosion d’un pays, implosion d’un couple, implosion d’un système de vie, le 4 août 2020 aura été le coup de grâce pour un Liban en apnée, sur le point de suffoquer, avec en prime la lutte contre une pandémie universelle totalement inédite.C’est le propos du dernier ouvrage de Hyam Yared qui, d’une écriture nerveuse et incisive, avec une immense sincérité « balance » tout ! Ses angoisses, ses questions existentielles autour du couple, de la maternité, de l’écriture, de la difficulté de les combiner (quelqu’un sera forcément lésé !). Ses interrogations sur le Liban, faut-il partir, faut-il rester, que va-t-il advenir de nous, de ce pays. Interrogation obsessionnelle qui tourne dans la tête de la narratrice et de celle du lecteur dont l’identification est parfaite (dans la mesure où il a vécu les mêmes choses et se pose les mêmes questions répétitives et lancinantes).
Le 4 août 2020 à 18h07, alors que la planète Beyrouth chavire, la narratrice et son mari se retrouvent à quatre pattes sous le bureau de leur thérapeute commune. La situation ne manque pas d’humour et Hyam Yared est très douée pour relever le côté cocasse des événements les plus tragiques. Le récit se déroule alors, sur les cinq jours suivant le drame, à la lumière de l’implacable sens de l’observation de l’auteure qui décortique chaque détail de ce qui se passe dans son entourage. La galerie de portraits qui gravite autour d’elle, son mari bien sûr qui n’est pas toujours sûr de comprendre ce que veut sa femme et qui est un défenseur acharné du « non départ » du Liban alors que la narratrice, ne supportant plus l’accumulation des problèmes quotidiens qui rongent les Libanais, ne rêve que de larguer les amarres. Ses filles, évidemment, les trois de son premier mariage et les deux de son deuxième mariage, qui la ramènent sur terre et dont le questionnement débordant l’interpelle, l’émeut et finalement lui donne le courage de continuer. Bref tout un petit monde que la narratrice scrute, à la lumière de ses propres sentiments, de ses angoisses et de ses contradictions.
Ouvrage essentiel, témoignage courageux et parfois impudique, Implosions ne se lâche plus une fois que l’on a commencé à le lire. Le lecteur est irrévocablement « embarqué » dans le monde, qui pourrait sembler délirant, de l’auteure. Mais non ! tout est vrai ! Et la réalité dépasse souvent la fiction.
Photo : Astrid di Crollalanza © Flammarion
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