Un mois vient de s'écouler sur la révolution du 17 octobre. Et si l'on veut donner un nom à ce vaste mouvement c'est bien celui de la révolution du drapeau. Dès les premiers jours de la révolte une même image s’est imposée à la place des Martyrs et sur les autres places à travers le pays, celle des milliers de drapeaux libanais émergeant bien haut d’une marée humaine solidaire. Cela faisait chaud au cœur.
Quel état des lieux en ce dimanche 17 novembre. La place des Martyrs baptisée le 14 mars 2005 place de la liberté permet de sentir le pouls de la révolution. En matinée, on se croirait sur une place de Montmartre. En grande majorité, des femmes peintres ont planté chevalet, toile, pinceaux, et coffrets de couleurs pour exprimer ce que leur inspire cette révolution. A midi l'hymne national s'élève en hommage à la fête de l'indépendance du 22 novembre.
L'après-midi, la place est encore relativement calme, malgré la musique patriotique à tue-tête et les slogans qui fusent : « le peuple veut faire tomber le régime », et « révolution, révolution ». Des hommes, des femmes installés autour de la place sur des chaises ou sur les rebords en béton fument le narguilé ou devisent calmement par cette belle journée ensoleillée. Des dames « endimanchées » mais en basket viennent se familiariser avec la révolution et prendre des photos souvenir. Des enfants se promènent avec leurs parents. Ils ne savent peut-être pas exactement ce que représente cette révolte populaire, mais ils diront un jour à leurs propres enfants nous étions là nous avons vécu cette révolution.
Aux abords de la place on croise les marchands ambulants qui vendent des épis de maïs bouillis, de petits kaak fourrés au fromage grillé au feu de bois, du café, de l’eau, du softs drink. C’est leur gagne-pain. La place n'est pas encore remplie et offre une ambiance détendue. Ceux qui critiquent cette ambiance veulent-ils à tout prix une révolution sanglante ? Plusieurs tentes et stands couverts de tentures y sont installées portant sur différents sujets dont les principales revendications du mouvement avec à l’appui des signatures si possible. Il y a aussi la tente de la croix rouge, celle des officiers libanais retraités, des fils de Beyrouth, et autres. Autour du monument aux martyrs des petites tentes de camping pour ceux qui restent sur place la nuit.
On longe la cathédrale Maronite de Saint Georges avec sa croix illuminée qui s’élève bien haut aux coté des minarets de la Mosquée el Amine, incarnation du Liban du Vivre ensemble évoqué par Michel Chiha le père de la Constitution, le Président Charles Hélou, le ministre Michel Eddé et tous ceux qui adhérent à ce concept.
On avance vers la place Riad el Solh, plus animée, plus de jeunes et une musique rapp. Les tentes portent sur de multiples thèmes : « le Hirak de Baalbeck Hermel », le mouvement syndical indépendant, l’écologie, l’environnement. On recueille des signatures portant sur les revendications essentielles et prioritaires : formation d’un gouvernement de technocrates, élections législatives anticipées… Ailleurs une vente de livres avec une réduction de 25%.
Partout dans les deux places de multiples slogans : non au confessionnalisme, au clientélisme à la corruption, une justice indépendante, récupérer l’argent spolié etc . On note que tous les passages menant au parlement à partir de ces deux places sont bloqués par des barricades et des barbelés en prévision de la séance parlementaire du mardi 19 novembre dont les révolutionnaires ont réussi pacifiquement à empêcher la tenue.
Les graffitis sont partout sur les blocs de béton, sur le mur protecteur du grand Théâtre …aux pieds de la statue des Martyrs, sur le bâtiment du city Center avec son dôme en forme de coquille d’œuf. Il serait intéressant de filmer et de photographier ces symboles révolutionnaires et d’en faire une expo.
En se déplaçant entre ces deux places mythiques on croise des gens de tout âge, de différents milieux sociaux et culturels et beaucoup de femmes certaines voilées, et toute cette gent féminine s’affirme avec témérité et courage sur ces places révolutionnaires. On est bien loin du sexe dit faible
Dans le vaste parking du complexe Azariyeh l’ambiance est très différente, bien plus calme et accueille un public très nombreux d’intellectuels, de diplômés, d’étudiants, de jeunes et de gens ayant soif de comprendre et d’apprendre. Les débats sur des thèmes de brulantes actualités sont animés dans l’une ou l’autre des tentes par des spécialistes en chaque matière : la loi sur l’amnistie générale, les finances, les droits civiques, l’abolition du confessionnalisme…. L’affluence est impressionnante. Debout ou installé sur des nattes ou sur les chaises disponibles dans l’une ou l’autre des tentes on écoute attentifs, avec plein de questionnements. Ailleurs aussi une animatrice initie à l'art du dialogue. On croise des visages connus, on se salue. Sous une vaste tente on prépare une cuisine gratuite. Et un autre espace pour la musique.
La nuit tombe, les deux places des Martyrs et de Riyad el Solh s’animent les gens affluent pour une nouvelle soirée révolutionnaire, le drapeau libanais flotte bien haut.
Que réserve l’avenir ? Cette révolution qui se veut pacifique, et espérons qu’elle le restera, parviendra-t-elle à nettoyer le pays du Cèdre de tout ce qui a corrompu son image et la vie des citoyens. Tous ces appels au changement parviendront-ils à préserver le vivre ensemble, le droit à la différence, la pluralité culturelle qui ont façonné la particularité du Liban depuis des siècles. Sa Sainteté Jean Paul II n’a-t-il pas dit : « Le Liban est plus qu’un pays il est un message ».
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