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Dia Mrad exorcise les démons du boom

05/07/2021|Julia Mokdad

D’un étage à un autre. Monter en pression. Redescendre aux enfers. Se tracer des chemins, sa propre route, à travers la guérison. Avec une seule thérapie : faire face. Face aux échos qui courent encore. A la terre, qui tremble toujours. S’y cramponner. Et puis, soutenir l’image. Celle qui trompe l’œil, celle qui n’est pas fixe, mais qui raconte l’histoire d’un moment envieux du présent. Furieux de s’y substituer. Avide de sa survie et de sa résilience. Un moment qui, depuis hier, emboite le pas à l’aujourd’hui, à l’ici et au maintenant, et se gausse bien des règles de la temporalité. « Nous avons besoin de regarder ces photos, même si elles peuvent parfois nous briser le cœur. Car c’est à partir de cet endroit-là que nous devons avancer. J’ai voulu, à travers ce parcours, démontrer la continuité de cet évènement qui ne nous a jamais vraiment quitté » explique Dia Mrad. 

 

L’œil de l’architecte 

 

Unparcours qu’il fait pour les autres, mais aussi pour lui-même. Présent depuis les premières heures de l’après 4 août sur les sites de destructions, il rehausse peu à peu la casquette d’architecte qu’il avait délogé, l’œil derrière l’objectif, il y a de cela trois années. S’il commence par donner ses archives aux ONGs comme Beirut Heritage initiative, organisation dont il s’est rapproché, le photographe entrevoit bientôt la nécessité de reconstruire la ville à travers sa lentille. D’août à novembre 2020, il rend service aux particuliers qui veulent faire évaluer leurs dommages personnels, et travaille main dans la main avec les organisations en documentant la destruction. Puis l’hiver arrive, et son froid vient occulter le souvenir de cette braise estivale apocalyptique. La reconstruction se matérialise, les projets émergent. Comme un lendemain de guerre. Caméra sur trépied, et souvent sur les mêmes sites, impossible pour le grand brun de reproduire deux fois le même cliché. Car déjà, le soleil migre et l’aube est là. Par éblouissement ou fierté, toujours est-il que devant l’aboutissement du Saifi 242 - dont il a supervisé les travaux - l’artiste du grand public ne peut s’empêcher de pleurer. 

 

 

 

 

Détenir la vérité est un fardeau qui vous accable et vous émancipe à la fois  - Dia Mrad

 

Le syndrome du choc post-traumatique. La douleur d’avoir trop vu. Près de 11 mois après la double explosion du port de Beyrouth, Dia Mrad se crée un sanctuaire aussi sombre que beau, pour déblatérer en silence des mois de souffrance. Un antre, ouverte à tous, un espace-temps démocratique où chacun reprend les droits dont il n’a pas joui dans son pays. Pourtant, c’est une exposition épurée de toute politique que l’artiste imaginait. « Comme tout le monde, j’ai des choses à proférer sur la situation de ce pays, mais l’idée n’est pas de critiquer, c’est de montrer » affirme Dia. Et de continuer : « De donner une plateforme aux libanais où ils peuvent se permettre enfin de ressentir, de s’avouer leurs propres non-dits. Cette première exposition, c’est aussi le moment pour moi de léguer une part du fardeau que je porte sur mon dos depuis bientôt un an. C’est un fardeau lourd dont le poids vous accable et vous émancipe à la fois. C’est la responsabilité de connaître la vérité, d’avoir vu ce que peu ont vu - en ayant accès à certains sites. Aujourd’hui j’estime que notre guérison mutuelle ne peut se faire que dans le partage de ce savoir ». 

 

Pour cela, il crée, un cliché après l’autre, cette série de photos dont le halo est invisible à l’œil nu, s’il n’est pas pris dans son ensemble. C’est la route à prendre pour recadrer (cf. The Road to reframe). D’abord inspirées par les vraies routes qu’il a prises, celle en lisière de Sursock street - au premier étage - et le sillon des silos - au rez- de-chaussée, ces routes, prises dans une scénographie tragiquement nostalgique, ne s’arriment que lorsqu’elles sont foulées, empiétées par l’homme et son éternel pouvoir d’altération, celui-là même qui aiguise sa perspective des choses. 

 

 

 

L’homme dans la photo

C’est donc une déviation importante que prend sa carrière, au premier matin de l’énième vie de Beyrouth, lorsqu’il réussit à capturer le regard, mi-consterné mi-furieux de Gebran Khalil Gebran à travers les ruines de la villa Moqbel. « Avant, j’admirais l’architecture pour ce qu’elle était. Aujourd’hui, je m’empare d’elle comme d’un miroir, pour renvoyer aux Libanais leur propre image ». Pour l’ancien architecte, jamais exilé malgré les opportunités, l’analogie est confirmée. « La situation de l’architecture au Liban reflète directement celle de la vie à Beyrouth. Les deux sont trésors, mais on ne leur fait pas justice. On les maltraite, on les néglige, on leur fait violence. Comme ces immeubles qui peuvent s’effondrer d’une minute à l’autre, notre peuple aussi, peut mourir dans un battement de cils ».

 

Photo © Joao Sousa

Des clichés sans faciès, mais empreints d’humanité. Pour faire de ces discours visuels sa cause, Dia Mrad déversera 30% des profits de ses ventes aux victimes de la double explosion, aux familles des victimes, mais aussi aux organisations en charge de la reconstruction. En relation directe avec l’administration du port, le photographe dit veiller à ce que cette répartition pécuniaire soit divisée de la manière la plus juste possible. 

 

Amoureux de sa ville qui l’a vu grandir, Dia Mrad nous avouera plus tard que la capitale aux milles effluves est pour lui une femme d’une beauté sans pareille. Une guerrière qui combat à mains nues. Mais une âme fragile. Cette femme parait-il, a connu un des plus grands accidents de sa vie, il y a près d’un an. Il s’est arrêté près d’elle. Dans sa défiguration, couverte de son propre sang, elle était toujours aussi belle que dans ses plus beaux jours. Et lorsque nous demandons à cet homme amoureux si sa muse réussit tout de même à se relever, Dia Mrad ne cille pas. « Evidemment qu’elle s’est relevée. Ses blessures sont encores profondes, mais Beyrouth est éternelle ». 

 

 

 

 

Lien virtual tour : https://vt.xyz-lb.com/show/?m=n9P3f1YFEVw

 

 

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