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Bob, ou Beyrouth dans la peau

12/05/2022|Juliette Pirot-Berson

Très tôt, Brahim Samaha, Bob, éprouve le besoin de l’art dans sa vie. « J’avais toujours quelque chose à dire, à exprimer ». Pour lui, la vocation d’un artiste est semblable au dévouement d’un moine à sa religion. « C’est la même sensation d’être dédié à une chose, tu as quelque chose à dire, et tu décides que la peinture est le meilleur moyen pour toi de dire les choses ».

 

Parti quelques années en Italie pour étudier à l’Académie des Beaux-Arts de Rome, il revient au Liban en 2008. Depuis, il n’est jamais reparti. Lorsqu’on lui demande s’il a l’intention de rester, il répond « oui, pourquoi partirais-je ? ».

 

A son retour, il crée le Laboratoire d’Art, un studio d’art situé sur les escaliers Saint-Nicolas à Gemmayzé. Lieu de création et de créativité, « ce petit local, c’est comme un volcan », résume celui qui est également professeur et chargé culturel à l’université Antonine, de Baabda. Espace de travail, où il pratique la peinture et la gravure, l’organisation de cours de dessins et de divers ateliers, galerie d’art. C’est aussi au Laboratoire d’Art que tous les projets prennent forme, notamment le Cabriolet Film Festival, fondé par Brahim Samaha en 2009, dont chaque édition est préparée et réfléchie pendant plusieurs mois entre les murs de cet atelier.

 

Le concept de l’événement ? Un festival de courts-métrages organisé en plein-air à Beyrouth, dont la prochaine édition aura lieu les 3, 4 et 5 juin 2022. Pour l’occasion, sept écrans sont installés à différents niveaux des fameux escaliers Saint-Nicolas. Au cours de la soirée, les films défilent en continu, les spectateurs s’assoient sur les marches et tout est gratuit. Telle est la recette du festival.

 

Un projet qui a débuté par l'organisation de projections à taille humaine dans l'atelier de son fondateur en compagnie de quelques amis. Puis l’initiative s’est transformée en festival. « Je l’ai appelé Cabriolet, parce que comme les voitures Cabriolet, on a ouvert le toit pour le faire en plein-air », explique Brahim Samaha.

 

Investir ces escaliers, connus pour leurs murs décorés d’œuvres d’art, n’est pas un choix anodin. « C’est un espace public ici, les escaliers, et on a besoin des espaces publics », insiste Brahim Samaha, compte tenu de leur rareté au Liban.

 

Depuis près de 14 ans, le festival est organisé sans interruption. Ni une crise économique, ni une pandémie, ni une explosion n’ont été assez fortes pour mettre un terme à ce rendez-vous annuel.

 

4 août 2020. Beyrouth est dévastée par l’explosion de son port et l’atelier de Brahim Samaha n’est pas épargné. « C’est à 800 mètres à vol d’oiseau, alors imagine comment c’était ici ». Vitres cassées, débris sur le sol, l’atelier est en piteux état et 3 mois de rénovation ont été nécessaires pour le réparer. « Il y a beaucoup de peintures qui se sont évaporées, je ne les trouve même pas », explique-t-il.

 

« Ça c’est un cadeau du port », explique – t -il, ironiquement, en désignant un objet exposé sur le sol : une poignée d’un conteneur du port parvenu jusqu’à son atelier. « Ça ce sont des bouts de vitres », en indiquant des débris de verre dans un bocal. « Je fais une lampe avec ça ».

 

Après Oser (« Dare ») et Exister (« Exist »), les années passées, place à Bizarre (« Weird ») comme fil conducteur du festival de cette année. « Parce que c’est bizarre de même penser à faire un festival ici, dans ce temps là », confie Brahim Samaha.

 

Fort de sa collaboration avec 23 festivals étrangers, environ 3500 courts-métrages, libanais et internationaux, ont été soumis pour cette édition. Après un processus de sélection fastidieux, une cinquantaine de films ont été retenus. « La différence entre eux c’est leur culture, et leur point de vue par rapport au thème ».

 

Organiser ce festival chaque année n'est pas une mince affaire. Interrogé sur les difficultés rencontrées, Brahim Samaha entonne « money, money, money » du groupe ABBA car le festival est à chaque fois un défi financier à relever, dans un pays paralysé par une crise économique sans précédent.L’autre enjeu du moment pour le festival est de réussir à se maintenir au même niveau, en ne perdant pas en qualité. « C’est le plus grand challenge », ajoute le fondateur.

 

Face à un milieu culturel fragilisé, Brahim Samaha cite Mère Théresa. « Elle a dit “Si vous voulez changer le monde, rentrez chez vous et aimez votre famille”. Pour soutenir quelque chose, il faut s’investir dans ce que l’on fait, le monde change comme ça, avec des petites initiatives »

 

Élevé à proximité de Beyrouth, la capitale est une influence majeure pour Brahim Samaha. Ses paysages et son architecture occupent nombreuses de ses œuvres picturales. Il raconte d’ailleurs passer de nombreuses heures dans ses rues à esquisser les traits de ses bâtiments dans son carnet à croquis.

 

« Beyrouth, c’est tout, la bipolarité, la destruction, la construction, un mouvement qui ne cesse jamais, l’histoire continue au présent, ça fait 6000 ans que Beyrouth est comme ça, alors je ne pense pas qu’elle s’arrêtera maintenant. »

 

Mais dans cette ville en perpétuel mouvement, s’offrir le plaisir de la contemplation peut être salutaire. Alors, les 3, 4, et 5 juin prochains, les amoureux du 7ème art et les simples curieux sont invités à gravir les marches des escaliers Saint-Nicolas pour visionner les courts-métrages de cette 14ème édition du Cabriolet Film Festival et découvrir ou redécouvrir l’antre artistique de Brahim. 

 

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