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BEYROUTH BY DAY: Yessouiyeh

27/01/2021|Tania Hadjithomas Mehanna

Il flotte dans les rues de Yessouiyeh un petit vent qui fait du bien. Dans l’ombre rassurante des bâtiments anciens on a envie de rester là. Juste s’asseoir et regarder passer le temps, les étudiants et les passants. Rester jusqu’au tomber des heures, quand le crépuscule s’appellera happy hours et que la rue Monot revêtira son habit de soirée. Dans chaque rue du quartier des jésuites se cache l’histoire. Et l’esprit vagabond devient poète, capable de célébrer jusqu’à plus soif cette envie de raconter tout ce qui a fait ce quartier, tout ce qui a fait cette ville, ce concentré de culture, cette formidable aventure humaine qui a fait ici s’arrêter le temps.

 

Dans la rue de l’Université Saint-Joseph, deux bâtisses anciennes manquent à l’appel. La mobilisation des riverains, des associations et de quelques urbanistes n’a pas empêché le projet insensé de bâtir dans ce « quartier à caractère traditionnel » des tours immenses et saugrenues. La rue cependant garde son calme. Ligne de feu durant la guerre, barricades et francs-tireurs n’ont pas réussi à ébranler sa certitude d’être encore et pour longtemps le miroir d’une ville qui défie l’histoire tout en étant son plus fidèle réceptacle. Miroir d’une certaine idée de culture aussi puisque c’est à l’affiche du Théâtre Monnot, inauguré en novembre 1997 avec les poèmes de Prévert lus par Claude Piéplu, que se  dévoile la diversité des talents de Beyrouth.

 

La lourde porte d’allure médiévale qu’il faut pousser pour accéder au bâtiment de la Bibliothèque orientale, propriété de la Compagnie de Jésus et gérée par l’Université Saint-Joseph ne décourage pas le visiteur curieux. Près de 400 000 volumes en toutes langues et 3500 manuscrits sont là, à portée de main. Fondée en 1875, en même temps que l’université, la bibliothèque est enrichie alors par le père Alexandre Bourquenoud qui rassemble des ouvrages. Le père Louis Cheikho la dirigera de 1880 jusqu’à sa mort en 1927. Ce religieux enthousiaste parcourt la région à la recherche de précieux et rares manuscrits. D’échanges en acquisitions, le fonds de la bibliothèque ne cesse de s’enrichir et de se spécialiser surtout dans l’archéologie, les religions, l’islamologie, l’histoire, la philosophie, la linguistique, la littérature et l’art. Elle sera transférée en 1939 dans les locaux qu’elle occupe actuellement. D’allure médiévale austère et d’influence arabo-andalouse, la Bibliothèque orientale dégage une atmosphère d’un royaume à huis clos où ne règnent que les livres. Les manuscrits sont turcs, persans, syriaques et surtout arabes et constituent la plus grande collection de manuscrits au monde. Parmi eux, un texte copte calligraphié, un manuscrit druze, une version syriaque de la Bible datant du IXe siècle, des pages d’un Coran enluminé du XVIIIe siècle. Certains livres sont d’une valeur inestimable comme La Sainte Bible en arabe qui date de 1875, le Diwan el Akhtal écrit en 1891 par le père Salhani, Moawia du père Lammens qui date de 1906. Une photothèque contenant environ 40 000 documents photographiques et une cartothèque qui compte parmi les plus riches de la région viennent confirmer, si besoin est, le caractère exceptionnel de cette bibliothèque dont la visite seule vaut le détour. 

 

Magda Nammour parle à voix basse. Cette bibliothécaire, responsable des périodiques, adore son métier mais ne regrette qu’une chose, elle n’a pas le temps de lire. « Il y a beaucoup à faire dans une bibliothèque. Il faut veiller à enrichir le fonds et nous avons mis au point un système d’abonnement en ligne à des bases de données qui nous fournissent régulièrement des articles spécialisés que les abonnés peuvent consulter. On reçoit des chercheurs du monde entier surtout dans le domaine de l’histoire et de l’archéologie. On essaie de se procurer le maximum de livres libanais parus parce qu’on joue le rôle de bibliothèque nationale. Mon travail est passionnant. J’ai toujours vécu dans cette bibliothèque où, étudiante, j’effectuais déjà mes recherches en histoire sociale. »

 

Mais où est donc passé le deuxième N de Monot ? À l’origine, la rue a été baptisée du nom d’Ambroise Monnot, un père jésuite qui a grandement contribué à l’installation de l’université rue Huvelin. Simple erreur administrative ou volonté de faire plus court ou plus simple, toujours est-il que Monot s’écrit aujourd’hui aussi bien avec un N qu’avec deux. Autrement dit Monot, mono N est entré dans les mœurs libanaises et les interrogations métaphysiques sur un nom maladroitement inscrit dans l’histoire ne perturbent nullement les noctambules qui ont fait de ce quartier un des hauts lieux de la nuit. Même si aujourd’hui une certaine désaffection a diminué le trafic et que les enseignes changent si vite qu’on n’a pas le temps de retenir les noms, certains pubs semblent inébranlablement ancrés dans le décor et il convient de saluer l’effort qui a été fait pour rénover sans détruire, restaurer sans défigurer. 

 

Le musée préhistorique, inauguré en 2000 à l’occasion des 125 ans de l’USJ, regroupe un grand nombre d’outils dans des vitrines qui retracent l’histoire de chacun d’eux de la matière première à la fabrication. Ce musée était une évidence pour qui connaît le travail incroyable accompli par les pères Jésuites au Liban. Levon Nordiguian, directeur du musée, nous entraîne dans les deux étages où est concentré l’essentiel des collections réunies qui démontre que le Liban a été habité depuis environ un million d’années par les hommes préhistoriques dont la présence a été attestée par plus de 400 sites ! « Ce musée est une façon de présenter au grand public la richesse des collections. Pour encadrer le musée, on a formé de jeunes étudiants en histoire à la recherche préhistorique. Des conférences sont régulièrement organisées sur le thème. C’est un domaine passionnant et beaucoup reste à faire dans le secteur des fouilles au Liban. » 

 

C’est au XVIIe siècle que des jésuites français, installés depuis 1609 à Constantinople, obtiennent l’autorisation de s’étendre dans l’Empire ottoman. C’est donc à Tripoli que les pères jésuites établissent une de leurs premières missions en 1645. Saïda fut également une destination choisie pour accueillir une école. Les maisons des Jésuites se multiplient et le rayonnement de celle de Ghazir fondée en 1843 devient vite important. Les pères jésuites décident alors de s’installer au sein de la capitale. C’est dans ce qu’on appellera plus tard la rue Huvelin que siègera ce qui sera le « premier établissement d’enseignement universitaire catholique et francophone de la région. » En 1875, s’ouvrent les portes de cette institution. Les autorités ottomanes confirment juste au début du siècle la légitimité de l’Université Saint-Joseph des pères jésuites. Avec l’augmentation des inscriptions, il devient nécessaire de trouver de nouveaux locaux. Le choix se porte sur un terrain situé sur la route de Damas. Une longue relation s’établit entre une capitale orientale et un ordre religieux. L’université épouse la ville et la ville s’allie à l’université. Les jésuites donnent à leurs différentes facultés un cachet de plus en plus libanais. Désormais les professeurs sont recrutés sur place et les élèves de plus en plus nombreux. L’année 1975 verra naître les nouveaux statuts de cet établissement, statuts qui lui confèrent une autonomie administrative, académique et financière. L’Université Saint Joseph devient une université privée libanaise avec des diplômes reconnus par l’État libanais. Mais 1975 marque également le début des combats et la position géographique de l’université la place en ligne de front. Que ce soit le campus de Huvelin ou ceux de la rue de Damas, les dégâts sont importants. Les cours continuent vaille que vaille dans les campus transformés en forteresse, dans les abris ou dans différents refuges provisoires. Depuis la fin de la guerre, l’université s’est dotée entre autres d’un quatrième campus situé rue de Damas, d’une Université pour Tous qui dispense des enseignements à tous ceux qui le désirent sans pour autant entrer dans le cycle estudiantin. Chaque année, ce sont plus de 6000 étudiants qui prennent le chemin de cette institution.

 

 

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