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BEYROUTH BY DAY: Hikmeh

24/03/2021|Tania Hadjithomas Mehanna

Des ruelles escarpées, des escaliers fleuris, de petites maisons nichées dans des impasses, Hikmeh ne se visite qu’à pied. Les grandes artères qui délimitent le quartier ne laissent pas soupçonner toutes les émotions visuelles que l’on ressent en se faufilant dans les toutes petites rues, presque des sentiers, qui remontent le temps. Ce qui frappe surtout les sens, ces arbres encore là... jasmins, magnolias, bougainvilliers, palmiers, frangipaniers, néfliers, mûriers et vignes. Beyrouth était une ville jardin. Ce qui est sûr, c’est que dans ce quartier sérieux de Hikmeh appelé aussi La Sagesse, la végétation défie le temps et le béton ; les grands immeubles révèlent souvent, du haut de leurs fenêtres et balcons, en contrebas mais pas si loin, des coins où les fleurs ont oublié de se plier aux règles pourtant immuables de toute ville qui se modernise. 

 

Ce qui a sauvé les vieilles bâtisses est probablement le fameux projet d’autoroute qui ne date pas d’hier. En effet, tous les habitants ne parlent que de ce tronçon de bitume qui va bientôt rejoindre la banlieue et faciliter le quotidien. Les avis sont mitigés, et si tous déplorent la destruction programmée des maisons qui ont déjà été achetées par l’État, certains se réjouissent de la valeur des terrains qui va probablement doubler. D’autres ricanent en parlant du « projet fantôme » qui fait trembler les vieux murs de Hikmeh depuis plus de 30 ans. Mais les rumeurs bruissent sous les tonnelles et il se pourrait, murmurent les habitants, que les travaux débutent incessamment. Une chose est sûre, c’est que le quartier de La Sagesse, qui a naturellement pris le nom du collège qui y occupe une place de choix, réagit avec philosophie considérant la remise du projet aux calendes grecques comme une bénédiction inattendue qui lui permet de continuer à respirer le doux parfum du jasmin. Et comme pour souligner le choix du vert comme prédominance ou évidence, des trompe-l’œil bienvenus agrémentent les artères de Hikmeh grâce au pinceau heureux de Carole Chaker qui a su dompter le béton.

 

Trouver des plants de vigne en plein cœur de Beyrouth, devant les maisons, grimpant sur les toits, rampant chez les voisins, ne devrait pas surprendre tant cette plante est ancrée dans l’histoire et les habitudes libanaises. En arabe, la vigne répond au doux nom de karam, qui veut aussi dire générosité et, depuis les feuilles qui servent à préparer un plat très prisé au Liban, jusqu’aux grappes qui sucrent le palais, ses bienfaits sont multiples. Sans oublier l’ombre accueillante qui permet de s’installer sous une tonnelle pour siroter son café. La vigne est un cadeau de Dieu et l’arracher est sacrilège. Jamais la vigne ne déçoit l’homme, jamais l’homme n’abandonnera la vigne. Et dans les villages comme dans les villes, le Liban tout entier célèbre tous les automnes la fête de la vigne en dansant la dabké et en rendant grâce à Dieu.

 

Si Younes Kortbawi connaît le quartier de Hikmeh sur le bout des doigts, il en est, lui aussi, une figure incontournable. Cela fait trente-cinq ans que ce monsieur aux yeux couleur ciel s’occupe de la chevelure de ces dames dont il est le plus précieux allié. Qu’il pleuve, qu’il vente, le brushing est indispensable à la santé mentale des Beyrouthines et Younes est fidèle au rendez-vous dans son salon Beauty. « Mes clients sont les mêmes depuis toujours. Avant j’avais trois employés et il y avait foule au salon. Je travaillais le matin dans une banque et je consacrais mes après-midi au salon de coiffure. Vous ne pouvez pas imaginer toutes les confidences qu’un coiffeur entend. Mais je suis muet comme une tombe, rien ne filtre. J’aime ce quartier parce qu’il est calme. Il se suffit à lui-même. Comme vous voyez, il y a tout, des écoles, des restaurants, des supermarchés, un hôpital. Espérons que le pont qui va bientôt se construire ne va pas troubler la quiétude de Hikmeh. »

 

Quand les premières pierres du Collège de la Sagesse ont été posées en 1874 sous l’impulsion de Monseigneur Joseph Debs, la colline d’Achrafieh n’était qu’un grand verger sauvage. L’église et le bâtiment principal furent achevés en 1878 et, très vite, d’autres bâtiments ont été ajoutés : une imprimerie, une école de droit, une école de commerce, un orphelinat et différents établissements commerciaux. Une petite agglomération qui devint vite incontournable pour des milliers de familles qui vouent, encore aujourd’hui, une fidélité émue à « leur » collège. Certains s’y marient, d’autres y célèbrent des messes, mais tous reviennent, le temps d’une visite, dans cette institution qui, par son importance, a donné son nom au quartier comme d’ailleurs l’Université américaine, le Collège de Nazareth, l’Université Saint-Joseph qui ont « baptisé » le quartier de Jamaa, Nasra et Yessouiyeh. C’est dire toute l’importance de l’enseignement dans Beyrouth qui sait aussi se faire studieuse. 

 

 

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