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Art of Change : du graffiti à l’outil politique

26/05/2022|Louise Servans

L’association Art of Change a été co-créée en mai 2019 par Jason Camp et Imane Assaf. En formant des synergies entre artistes, organisations internationales, ONG, et clients privés, l’association vise à faire de Beyrouth un hub incontournable pour le street art. Originaire du Sud de l’Angleterre et ayant plus de 15 ans d’expérience dans le milieu, nous avons rencontré Jason, qui nous a livré son témoignage optimiste en tant qu’activiste pour un meilleur avenir à travers l’art dans la rue. 

 

Lorsque les deux cofondateurs se rencontrent à un festival d’artistes à Londres organisé par Jason, où Imane était la sponsor de plusieurs artistes libanais, l’idée de créer une plateforme pour soutenir les artistes de rue au Liban, en mêlant leurs expériences et compétences respectives, émerge rapidement. Les ambitions d’Art of Change partent initialement du simple constat qu’aucune structure de la sorte n’existe au Liban à ce moment-là, en 2019. Convaincus qu’il n’est point de forme artistique plus noble qu’une autre, leur volonté est alors d’amener l’Art dans la rue à la population entière, afin de briser l’élitisme dont il faisait l’objet. 

Mais la révolution et la crise étant passées par là, la portée de l’action de Art of Change s’est vue propulsée encore plus loin. Les messages inscrits sur les murs et les lieux symboliques des rues portaient alors les revendications d’une population qui n’avait plus été aussi fédérée depuis longtemps. L’association était une ressource importante pour encourager ces inscriptions, en fournissant aux protestataires de la peinture, en les aidant à marquer des lieux stratégiques, et en sponsorisant même certains artistes. Naturellement, c’est alors que les regards changèrent, ne voyant plus des graffitis sans valeur, mais de l’art engagé, puissant relais politique. Les municipalités, chargées de donner des autorisations à « Art of Change » pour réaliser une œuvre sur les murs se trouvant sur leur territoire, frileuses et réticentes au départ, sont aujourd’hui elles-mêmes souvent très favorables à de telles propositions, afin d’attirer l’attention sur leurs communautés. 

 

Bien qu’il ignorait que les évènements feraient tant résonner et perdurer l’action d’Art of Change, Jason Camp affirme : “pour moi, cela a toujours été le rôle du street art : représenter les subcultures (sous-cultures). Il se trouve que le contexte a fait de Beyrouth le terrain parfaitement propice pour y développer cette vision.” Ayant assisté à l’émergence puis à l’assimilation du street art en Angleterre, il confie avec excitation qu’il a parfois l’impression de voir le Londres d’il y a 15 ou 20 ans, à Beyrouth. Tandis que l’art de rue est déjà largement considéré comme un art gentrifié en Angleterre, il est encore très disruptif au Liban, et sert à amplifier la voix des marginalisés. 

 

Ghaleb Hawila, artiste calligraphe que nous avons également interrogé, venait tout juste de terminer une œuvre commandée par l’American University of Beirut (AUB), avec Art of Change, sur laquelle on peut lire le slogan de l’université, juste à l’extérieur du campus, qui se traduit en anglais par “You may live and live abundantly”. Ghaleb Hawila raconte comment les événements récents ont modifié sa vision du street art. “Étant calligraphe de formation, je suis très perfectionniste, et l’art que je propose requiert une extrême précision. Mais pendant la révolution, mon regard sur le street art a totalement changé. J’ai vu tellement de beauté dans les messages exprimés.”

Pour marquer les esprits à travers l’art dans la rue, les idées ne manquent pas chez Art of Change. Le Memorial Wall à Saifi par exemple, permet d’honorer toutes les victimes du 4 août 2020, en affichant sur une longue frise chacun de leurs visages, dessinés par l’artiste américain Brady Black @bradytheblack. Jason explique que le mur se détériore avec le temps, ce qui prouve la raison même pour laquelle cette œuvre a vu le jour : dénoncer l’inaction de l'État pour honorer dignement leurs mémoires. Une autre artiste sud africaine, Faith47 ayant voulu témoigner son soutien à Beyrouth au lendemain de l’explosion, a choisi de représenter huit plantes et fleurs médicinales du Liban, dans des lieux marquants détruits de la ville, en signe d’espoir et de solidarité. 

 

Durant ces deux dernières années, Imane et Jason ont voulu adapter leurs actions aux besoins les plus urgents. Pour les acteurs locaux comme pour les organisations et artistes internationaux travaillant avec Art of Change, il n’a jamais été question de monter une œuvre sans aucun rapport avec le contexte libanais, et de partir. Les parties prenantes de chaque projet tentent de proposer des créations qui reflètent les problématiques, aspirations, et qualités des communautés où elles se trouvent. Autant que possible, les œuvres artistiques s’accompagnent d’actions concrètes pour créer le changement par l’art. Jason Camp explique par exemple qu’un des artistes avec qui l’association réalisera des peintures murales à l’automne prochain, est en train de produire des prints et des tee-shirts en édition limitée dont les ventes permettront de financer une école pour les enfants du quartier où l’œuvre sera exposée. 

 

Lorsque l’on demande à Jason Camp dans quelle mesure le contexte libanais l’empêche de mener à bien sa mission, il répond au contraire avec un sourire lumineux, qu’il trouve que la période que nous traversons est très intéressante, et qu’il faut plus que jamais redoubler d'efforts, et de collaborations. Le projet qu’il rêverait d’offrir au Liban dans un futur relativement proche, serait un centre culturel et communautaire. Cette structure permettrait à des artistes de différentes spécialités d’exposer, de se rencontrer entre eux, d’avoir accès à du matériel, à être mis au-devant de la scène du marché de l’art international, et surtout à se sentir soutenus, pour que leur travail puisse à leur tour porter haut la fierté d’être libanais. 

 

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