Prélude. La salle est plongée dans une douce obscurité, trahie ça et là par des moments de vie mis en lumière. Une dizaine de visages sont placardés sur les murs. De Mounira al Mahdiyya, à Badia Massabni, en passant par Rose Al Youssef, c’est une mise en scène sobre, à l’image d’un livre ouvert qui s’offre à vous. Lire entre les lignes, épier les images ou se laisser absorber par l’odeur des pages, les yeux fermés. Peu importe réellement comment chacun y décide d’approcher l’œuvre. Car dans cette première salle, c’est déjà elle qui prend le dessus. Archives d’articles, photographies, prestations et morceaux d’interviews en noir et blanc, c’est à travers une première étape éducative de l’exposition que l’on suit, progressivement et les sens en éveil, le cheminement de ces femmes, algériennes, égyptiennes ou syro-libanaises, qui sont passées, intrépides et imposantes, des planches aux grands écrans.
Note centrale. Elle est en réalité loin d’être au centre de l’exposition, tant bien en termes de disposition qu’à l’échelle de l’histoire panarabe. Et pourtant. C’est la pièce qui tient, par sa symbolique, toutes les autres parties en équilibre dans l’échafaudage de l’âge d’or. Cette fois, « Divas » nous arrache délicieusement à l’ère contemporaine pour nous ancrer dans les rouages des grands chamboulements orientaux de l’époque. Au programme, débats sur le voile, le mariage ou encore l’éducation. Dans ce salon reconstitué spécialement pour l’exposition, on aurait comme l’impression de l’entendre. La pionnière Hoda Chaaraoui, qui profère dans nos oreilles - les mots souriants - ses idées progressistes, et le récit épique de son dévoilement sur la place publique en 1923 - qui lui a valu d’être vouée aux gémonies. Sa voix incrustée dans les murs telle une présence mystique, nous invite, accompagnée d’une quinzaine de femmes, dont Ceza Nabaraoui ou encore Safia Zaghoul, à questionner les grandes thématiques des années 1920. Et à prendre part avec cette horde issue de la haute bourgeoisie, au mouvement cosmopolite et disparate qui rassemblera néanmoins les femmes sur les devants de la scène, et les invitera à fouler les estrades politiques.
L’Apothéose. Pour visiter la deuxième partie de l’exposition, il faut gravir quelques marches nimbées de rideaux en velours rouges. Un sentiment d’ascension, qui n’aurait été que coïncidence si les salles à venir n’étaient pas l’allégorie matérialisée de la gloire et de l’influence, ni les sanctuaires improvisés de ces divas pourtant immortelles. Dans chaque salle, l’âme d’Em Khoultoum - l’Astre de l’Orient, puis celle de Warda - la Rose Algérienne. Sabah, Fayrouz, Dalida. Toutes photographiées dans leur sensualité violente. Objets de valeurs, mais aussi ceux d’une vie ordinaire, couleurs rutilantes et symphonie de voix rauques, douces, ou jazzy entremêlées ; tout dans ces couloirs aux sinuosités enivrantes rappellent la cacophonie harmonieuse et grandiose de ces vies, et mène, tout comme leurs prestations, le public à la limite du tarab, ce que l’on appelle alors dans ces salles de spectacles bondées par la foule, l’extase artistique.
Transe. La musique gronde et le rideau tombe. De nos jours, la nécessité d’accueillir le progrès implique de dire adieu à certains idéaux, avec tout ce que cela implique. Ici, de voir encore un jour, interdits, une diva mouvoir son corps sur scène et investir l’atmosphère. L’exposition s’éteint majestueusement sur « La dernière danse » de Randa Mirza et Waël Kodeih.
Divas arabes, de Oum Kalthoum à Dalida, Institut du Monde arabe, du 14 mai 2021 au 25
juillet 2021 www.imarabe.org/fr/expositions/divas-arabes.
Shirin Neshat Ask My Heart, Looking for Oum Kulthum 2018 Encore sur tirage couleurParis, Noirmontartproduction © Shirin Neshat. Courtesy Noirmontartproduction
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