Une claque aux Libanais. Voilà ce que la prolifique metteuse en scène Lina Abyad a voulu nous offrir en ce début d’année. Une adaptation de Dario ‘Fo Faut pas payer !’ qui vacille entre le burlesque et la comédie contemporaine pour nous secouer et nous faire réagir face à la situation économique et politique qui traverse notre pays. Rendez-vous au théâtre le tournesol jusqu’au 27 janvier avec une pièce qui ne vous laissera certainement pas indifférent.
Pourquoi avez-vous adapté la comédie de Dario Fo ?
Ce n’est pas la première fois que je monte un Dario Fo- j’avais monté il y a plusieurs années ‘Une femme seule’ avec Julia Kassar. Prix Nobel de littérature, Dario Fo est irrésistible parce qu’il est un grand auteur qui traite de sujets graves et sérieux mais avec énormément d’humour et d’émotion. Pour ‘Faut pas payer’, il traite du coût de la vie. Aujourd’hui les gens triment, sont exploités et finalement très mal payés. La classe moyenne disparait à vue d’œil et la classe pauvre grandit. C’est un sujet d’actualité dans le monde entier. Le coût de la vie augmente et les salaires stagnent. Nous tombons dans la pauvreté.
Avez-vous suivi intégralement la pièce, ou avez-vous apporté quelques modifications ?
J’ai fait des changements, par exemple le nom des personnages. Marguerita est devenue Rita, Giovanni est devenu Tony etc. Les personnages parlent souvent du Pape qui en Italie est à portée de main, si je puis dire. Ici, le Pape est devenu le abbouna. Nous l’avons adapté à la classe ouvrière libanaise qui est très différente de l’italienne. Nous avons fait des adaptations pour que les Libanais puissent mieux s’identifier à cette situation – Comme par exemple les générateurs qui vont être légalisés ce qui est typiquement libanais. Mais nous sommes restés extrêmes fidèles à l’esprit unique de Dario FO.
A quoi ressemble l’univers théâtral de Dario Fo ?
L’univers de Dario FO est un univers complexe. Il est héritier de la Commedia Dell’arte, de ces comédiens qui ont travaillé dans la rue avec des masques, qui sont d’une très grande insolence par rapport au pouvoir et critiques par rapport aux grandes institutions, et en même temps proche du public et des problèmes sociaux. L’insolence qui caractérise Dario FO est donc typique du théâtre ambulant de l’Italie du 16e siècle où on travaillait pour la cour mais en même temps on faisait rire les petites gens. Dario Fo a compris qu’en faisant rire les gens de leurs problèmes, de leurs soucis et de leur sort, on pouvait peut-être les réveiller. Ce qui est très puissant.
‘Faut pas payer ! ‘ne fait-elle pas écho à la situation des Libanais ?
La situation économique du Liban et d’ailleurs est en train de s’effondrer. Je pense qu’à aucune époque cette pièce n’aurait fait écho au public et à ses problèmes autant que celle-ci tout en les faisant rire. Je trouve que c’est d’une intelligence incroyable. On nous fait avaler des couleuvres et personne ne fait quoi que ce soit. Nous sommes dans un état de soumission effroyable. Nous les Libanais, nous sommes très proches de l’esprit de Dario Fo. Nous tournons en dérision tous nos malheurs : générateurs, cherté, économie tout y passe, mais ça s’arrête à la blague, alors que Dario Fo est beaucoup plus virulent.
A qui s’adresse ce spectacle ?
Je trouve le texte tellement intelligent qu’il est tout public : les enfants y verront le côté farce, les étudiants le texte d’un Prix Nobel de littérature et toutes les personnes qui travaillent dans n’importe quel domaine y verront une analyse de leur situation. C’est un spectacle drôle, cinglant, puissant qui fera réfléchir les gens sur leur misère économique tout en les faisant rire. Je trouve que c’est un texte vraiment génial servi par des comédiens exceptionnels qui ont compris l’esprit de Fo et qui vont faire rire les gens. Le public en sortant va se rendre compte qu’il a ri mais qu’aussi il a reçu une belle claque.
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