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Le Liban enfin à demeure dans la Maison Internationale des Ecrivains

18/11/2014|Nicole V.Hamouche

La Maison internationale des écrivains, cette maison sans mur selon les termes de Charif Majdalani, - puisqu’elle n’a pas d’assise immobilière - ne croyait peut être pas si bien représenter ce ‘house of many mansions’, maison à plusieurs demeures qu’est le Liban selon le titre même du livre de Kamal Salibi publié en 1990, qui reconsidère l’histoire du pays et les mythes à l’origine des dissensions. Les rencontres qui s’y sont tenues, en octobre, étaient habitées ; les fantômes de la maison dissipés ; ne serait-ce qu’un temps. 


La guerre, le terrorisme, l’omerta, le traditionalisme, l’exil… sont passés au crible de la fiction et de l’écriture, et de la rencontre - en ce qu’une rencontre, est reconnaissance intuitive. Celle des écrivains avec leur public ou plus encore du public avec ces écrivains entre deux cultures, du public avec lui-même, lui aussi entre deux cultures; à minima. Les auteurs conviés ce mois-ci avaient en commun pour le plus grand bonheur du public d’avoir de réels talents de conteurs, mais aussi d’orateurs. Ça n’était pas prévu ; mais ça s’est fait comme ça. Une certaine énergie a soufflé sur toutes ces rencontres concentrées sur quelques jours; une certaine osmose. Le même mot qui revenait dans la bouche des présents quand on leur demandait ‘‘alors comment c’était ?’’ ‘‘passionnant ; passionnant’’. Chacune de ces rencontres se terminait par un standing ovation ; comme au spectacle. Car c’était presque une performance que donnaient ces écrivains, tant ils étaient animés par leurs histoires et peut-être par Beyrouth – d’après leurs dires. 

Peut-être que cette ‘maison à plusieurs demeures’ qu’est le Liban, que ce public divers, nombreux de tous âges et de tous horizons - pas que des francophones puisque certaines rencontres étaient en anglais - cinéastes, écrivains, plasticiens, lecteurs de book clubs, faisaient écho à leur propre intériorité. Multiple. Tous les invités avaient en commun la diversité de leur parcours, d’avoir quitté leur pays d’origine et de s’être installé sous d’autres cieux et également d’écrire dans leur deuxième langue - sauf Gamboa l’auteur colombien qui écrit en espagnol. Ils avaient en commun également la densité des expériences et la générosité. Dans ces cercles contenants formés le temps d’un soir, ils ont partagé non seulement des histoires, mais aussi la leur ; ou l’on s’aperçoit que souvent le réel dépasse la fiction. Et l’on se demande si ce n’est pas la magnitude de tels réels qui fait que l’on écrit de grandes fictions ; si ce n’est pas pour composer avec celle-ci que l’on écrit. C’est ainsi en tous cas par exemple, que semblent composer Berbérian, Taïa, Popescu, Gamboa ou encore Rawi Hage, les invités de ces rencontres. Des êtres venus de la violence de la guerre, de la répression, de l’émigration, de la corruption, de la misère, du terrorisme…qui ont su garder un regard brillant et distancié, drôle parfois. 

Dans ‘Le Cycliste’, Viken Berbérian traite du terrorisme, dans une trame infusée d’humour et de sensualité, par cuisine et vélo interposés. Le père de Berberian avait été assassiné pour des raisons politiques; l’auteur a émigré à neuf ans, mais Beyrouth est le centre du roman. Hage aussi a quitté le pays à neuf ans, mais De Niro’s game se joue dans le Liban de la guerre, des massacres de Sabra et de Chatila et de toutes les violences. ‘Le Cycliste’ sort juste avant le 11 septembre 2001 et le deuxième roman de Berberian Das Kapital a la veille du krach financier de 2008. Prémonitoires ? ‘‘Qu’écrivez-vous maintenant ?’’ lui demande quelqu’un en plaisantant, comme pour prévoir le futur grand chambardement. Est-ce son métier - il est actuaire dans la vie de tous les jours - le calcul de risques qui donne des visions ? Ou le pouvoir divinatoire de l’écriture ? À force de sonder l’inconscient. C’est celui-ci qui fera que Abdallah Taïa écrit ‘Le Jour du Roi’, un récit autobiographique, qui reçoit le Prix de Flore ; l’histoire de ce garçon pauvre qui rêve au sens propre du terme de baiser la main du roi. Baiser la main du roi ou le rêve ultime ; c’est dire combien l’amour du roi - Hassan II alors - était intériorisé, quand bien même il était connu pour la terreur qu’il semait. Certaines amours ou plutôt certains réflexes sont coriaces. Culturels notamment. Si l’écrivain a fait du chemin depuis la pauvreté et la rugosité de son environnement, vers la Ville Lumière, vers sa propre voix et la reconnaissance ; parmi les siens, dans sa terre natale, le silence continue à peser autour de son œuvre et de sa vie d’homme. Le prix de Flore ne compense pas le prix du silence. 

Maroc Roumanie Liban, même combat. Celui de l’homme contre la tyrannie, celui de l’homme contre le silence imposé, celui de la mémoire pour la vie, celui de l’écriture pour l’unification… de soi. Celui des penseurs et des hommes - et des femmes - de bonne volonté pour faire triompher les forces de la vie. Celui d’un écrivain, l’auteur du ‘Dernier Seigneur de Marsad’ et de l'’Histoire de la Grande Maison’ et de ses mousquetaires : Nadine Chéhadé, Carole Ammoun, Céline Khoury, Huda Sayegh, Camille Ammoun, pour faire venir la littérature mondiale au Liban : rien moins que ceci. Il suffit d’être habité comme ils le sont, même dans une maison hantée. Leur passion entraine dans son sillage l’enthousiasme de différents sponsors, qu’ils soient individuels ou institutionnels et celui de la Municipalité de Beyrouth. Et la maison libanaise hantée - ces derniers temps - se transforme en un foyer de créativité et de débats. 
 

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